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Les dieux criminels, L’Homme Nouveau, 03.2018

Paru dans L’Homme Nouveau, bimensuel catholique, mars 2018.

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Allant à l’encontre d’une idée répandue selon laquelle l’implication d’une religion dans les conflits résulte de son instrumentalisation par la politique, Antoine Fleyfel nous donne ici à « comprendre comment les doctrines religieuses elles-mêmes, soumises à des exégèses très précises, servent de fondement surnaturel et eschatologique à des mouvements monstrueux ». On ne peut qu’approuver cette démarche qui contribue à éclairer l’intelligence de situations trop souvent difficiles à saisir par les esprits occidentaux façonnés par le rationalisme. L’origine libanaise de l’auteur, qui enseignement à l’université catholique de Lille, l’a sans doute préparé à cet exercice bien utile.

Évangélisme sioniste, sionisme religieux et salafisme djihadiste : ces trois idéologies religieuses se retrouvent au Proche-Orient en position offensive. Émanation du protestantisme anglo-saxon, le premier mouvement (40 millions de fidèles) considère l’avènement d’Israël comme relevant directement des prophéties bibliques et donc lié à l’histoire du salut ; pour ses adeptes, Jérusalem doit être reconnue capitale indivisible de l’État hébreu. Dérivé du sionisme laïque originel, le second a été récupéré par des juifs orthodoxes fondateurs du Goush Emounom (Bloc de la foi), fer de lance de la colonisation et opposé à tout compromis avec les Palestiniens. Enfin, le troisième s’enracine dans une conception radicale de l’islam dont Al-Qaïda et Daech sont les expressions les plus récentes. Il va de soi qu’aucune paix n’est envisageable à partir de tels programmes. Antoine Fleyfel prend soin toutefois de mettre en évidence les opposants chrétiens, juifs et musulmans à ces idéologies mortifères. Celles-ci épargnent le catholicisme, réalité qui doit être prise en compte dans toute évangélisation honnête des enjeux politico-religieux du monde actuel.

L’Homme Nouveau

Annie Laurent

Mars 2018

Tigrane Yegavian, L’évangélisme sioniste, La Nef, n. 297, 11.2017

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Si le conflit israélo-palestinien est l’otage d’une pléiade de facteurs alliant histoire et géopolitique, d’autres pressions d’ordre socioéconomique et idéologique exercent une influence déterminante. C’est notamment le cas du puissant lobby sioniste chrétien aux États-Unis. S’ils puisent leur discours dans une théologie à fortes implications politiques, les sionistes chrétiens ne se reconnaissent pas dans un seul courant évangélique (pentecôtiste ou charismatique etc.) et garantissent un soutien quasi inconditionnel et des plus efficaces à l’Etat hébreu de la part de Washington.  

“Regarder Israël c’est voir le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob tenir ses promesses” (…) “Comme vous-tous, ma passion pour Israël vient de ma foi chrétienne. Les chants de la terre et du peuple d’Israël étaient les hymnes de ma jeunesse. Comme nous le faisons pour nous et les nôtres, nous prions pour la paix de Jérusalem et de tous ceux qu’elle appelle chez elle. C’est vraiment le plus grand privilège de ma vie que de servir comme vice-président un président qui s’intéresse si profondément à notre allié le plus chéri “. L’auteur de ce discours prononcé en juillet 2017 lors de la réunion annuelle de l’organisation Christian United for Israel,le plus important réseau de chrétiens en faveur d’Israël, n’est autre que Mike Pence, le vice-président américain. Ce fils d’Irlandais catholiques, converti à l’évangélisme et adepte du Born Again, ne peut être plus explicite.

 

Précipiter le retour du Christ sur terre

Baptistes, Pentecôtistes, Méthodistes, Presbytériens, Adventistes etc… autant d’églises évangéliques qui essaiment dans le Nouveau Monde. Massivement concentrés dans la Bible Belt, ces adeptes d’une lecture littérale du texte sacré sont fascinés par les prédictions apocalyptiques. Ils se perçoivent comme les derniers témoins de Dieu dans une humanité en perdition. À la marge de cette galaxie dévote, évolue depuis le XIXe siècle un mouvement religieux qui a progressivement gagné en ampleur : le sionisme évangélique. Ce courant hétéroclite compterait aux Etats-Unis plus de 100 000 pasteurs pour 40 millions d’adeptes (sur les 70 millions d’évangéliques américains). Les chrétiens sionistes considèrent comme un commandement divin d’aimer et de soutenir Israël et le peuple juif, élu par Dieu. Cette attachement est du reste raffermi par le mimétisme fort qui lie le messianisme américain des pères fondateurs à l’histoire du peuple hébreu. Bénéficiant de la bienveillance des Néoconservateurs, leur influence peut s’avérer parfois déterminant sur le terrain diplomatique.

Selon le philosophe et théologien Antoine Fleyfel, auteur d’un essai consacré aux fondamentalismes évangélique, sioniste et salafiste (voir encadré), le terme évangélique sioniste désigne un mouvement évangélique qui voit dans la création de l’Etat d’Israël une réalisation des prophéties bibliques préparant le retour du Christ en gloire (Christ Pantocrator) qui viendra juger les vivants et les morts. Croyant la fin du monde imminente, les évangéliques l’attendent avec impatience. Mais pour ce faire, encore faut-il que le « peuple élu » retourne à la « Terre promise », où il est censé embrasser la foi chrétienne.

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Jonathan Guilbaut, Les dieux criminels, Carnets du parvi, 27.10.2017

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À moins d’être d’une mauvaise foi crasse et de rapporter aux religions tous les maux de l’humanité – une thèse que l’on surprend encore sous la plume de gens par ailleurs instruits, il est évident aujourd’hui que bien des conflits prennent racine dans l’instrumentalisation de la religion par la politique. Beaucoup se servent du nom de Dieu pour arriver à leurs fins, le plus souvent tout à fait terrestres, matérielles : pouvoir, gloire, richesse.

Mais cette évidence risque de cacher une autre vérité : la religion est bel et bien capable elle-même d’engendrer du politique, et du politique d’une mouture singulièrement belliqueuse. Ainsi, c’est aux tendances religieuses « politisantes » que s’intéresse le récent essai Les dieux criminels, d’Antoine Fleyfel (Cerf, 2017). L’auteur, spécialiste du christianisme oriental, n’accuse évidemment pas la religion dans son ensemble ni une religion en particulier. Mais il identifie et décortique des courants misant sur une interprétation littérale des livres sacrés pour alimenter des politiques nationales qui entravent les processus de paix, notamment au Moyen-Orient.

Fleyfel s’en tient aux trois courants les plus influents à l’heure actuelle : l’évangélisme sioniste, le sionisme religieux et le salafisme djihadiste. Bien informé et conscient de la complexité de chaque mouvance, il nous fait découvrir maintes organisations publiques qui, au nom d’une conviction religieuse élevée au niveau d’un absolu, engendrent une action politique soutenue et souvent efficace – malheureusement.

C’est le cas de l’évangélisme sioniste. Il est passionnant de constater que si, du côté catholique, un certain littéralisme a mené, historiquement, à l’antisémitisme (« les Juifs sont déicides, etc. »), un littéralisme encore plus poussé à mené certaines branches évangéliques à quasiment idolâtrer le « peuple élu ». Obsédés par certains passages de l’Ancien Testament, des évangéliques investissent une part congrue de leurs efforts « missionnaires » à faire en sorte qu’Israël recouvre tout le territoire de la « Terre promise » selon les limites fixées par la Bible. Pour certains groupes, le retour des Juifs en Terre sainte, puis leur conversion au christianisme, est la condition sine qua non du retour du Christ; pour d’autres, le temps de l’Église ne représente qu’une transition dans le plan de salut de Dieu, qui s’achèvera par la rédemption du peuple de la promesse éternelle. Mais peu importe leur interprétation, les uns et les autres font pression sur le gouvernement des États-Unis, au moins depuis Carter, afin que celui-ci appuie sans réserve Israël, au détriment des Palestiniens. Quiconque se souvient des difficultés d’Obama dans le dossier moyen-oriental ne doutera pas que le lobby chrétien pro-Israël est extrêmement puissant.

À ce sionisme s’ajoute celui de certains Juifs très religieux eux-mêmes. Le sionisme fut d’abord laïque, mais sous l’influence des rabbins Kook, le retour en Terre sainte fut jugé de plus en plus conforme au plan divin. Cette conviction culmina lors de la Guerre de Six jours, qui en a conforté plusieurs dans leur vision religieuse de la géopolitique; mais avec Nétanyahou au pouvoir et une influence grandissante dans l’armée, le sionisme religieux a encore de beaux jours devant lui, sous une forme ou une autre. Évidemment, la vitalité du sionisme religieux engendre des difficultés insurmontables pour la décolonisation de la Cisjordanie et la reconnaissance israélienne d’un État palestinien – et donc pour la paix.

Bref, un essai fouillé et très instructif sur quelques « coulisses du pouvoir » pressenties, mais mal connues dans le détail.

Jonathan Guilbaut

Carnets du parvi

27.10.2017

Tigrane Yégavian, Le fondamentalisme pour les nuls, Afrique Asie, 03.10.2017

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Recension paru dans le magazine Afrique Asie, le 3 octobre 2017

« Si la politique instrumentalise la religion, cette dernière le lui rend bien » affirme l’auteur en guise d’introduction. Fruit d’une recherche de deux ans effectuée sur trois fondamentalismes, cette enquête documentée nous donne de précieuses clés pour mieux saisir la trajectoire et l’ampleur actuelle de l’évangélisme sioniste, du sionisme religieux et du salafisme jihadiste.

Avec ce titre volontiers provocateur, Fleyfel nous renvoie à une exclusivité de conceptions de la transcendance excluant toutes les autres. Jeune philosophe et théologien franco-libanais rompu à l’exercice, l’auteur remet les pendules à l’heure, mettant l’accent sur une dimension reléguée au second plan, à savoir le fondement religieux, théologique et dogmatique de la violence au nom du sacré.

Mobilisant des connaissances historiques et théologiques, Fleyfel revient sur les grands récits millénaristes évangélistes et sionistes en les contextualisant, décryptant au passage la logique de ces systèmes doctrinaux et le contexte dans lequel ils évoluent. L’enquête nous conduit notamment dans les méandres de la machine infernale du Great Awakening et de la Bible Belt états-unienne de leurs innombrables nuances et de l’influence décisive jouée par les sionistes américains auprès des locataires successifs de la Maison Blanche. Avec le recul du chercheur, l’auteur révèle également l’inquiétant processus de radicalisation de la population juive israélienne, naguère à nette majorité laïque, aujourd’hui de plus en plus perméable au discours du Goush Emounim.

Au-delà de sa dimension factuelle ce que nous apprend l’étude est de voir comment le salafisme jihadiste et les deux sionismes (évangélisme sioniste et sionisme religieux) excluent toute exégèse critique des textes religieux sur lesquels ils s’appuient. D’où cette nécessaire mise en évidence du gouffre qui existe entre une lecture littérale du contenu religieux et toute autre critique. L’auteur note à juste titre que ces trois idéologies belliqueuses sont intimement liées à trois Etats : l’Arabie saoudite, les Etats-Unis, « terre bénie » par les pères fondateurs, et Israël. Trois terres sacralisées dans chacun de ces récits millénaristes. Sacralisation qui va de pair avec celle de l’histoire censée se dérouler sur un plan préétabli par Dieu… et l’auteur d’en appeler à tuer ces idoles pompiers pyromanes.

Tigrane Yégavian

Afrique Asie

03.10.2017

Bertrand Wallon, Géopolitique des Chrétiens d’Orient d’Antoine Fleyfel, 27.09.2014

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Recension paru sur le site des Chrétiens de la Méditerranée le 27 septembre 2014

Antoine Fleyfel, franco-libanais, docteur en théologie et en philosophie, est maître de conférences à l’Université catholique de Lille. Responsable des relations académiques à l’OEuvre d’Orient, il est rédacteur en chef de sa publication annuelle : Perspectives et réflexions.

Son livre, Géopolitique des chrétiens d’Orient, est consacré à une analyse de la situation des chrétiens dans 6 pays arabes, pour chacun desquels il retrace l’histoire de leur relations avec l’Etat et la société de leur pays, la place qui leur est reconnue (ou pas) au sein des institutions, la forme que prend leur « dialogue de vie » avec l’islam, et il énonce les défis qu’ils ont à affronter.

Après avoir précisé la notion de « géopolitique », prise au sens de l’espace géographique, historique, politique et culturel dans lequel les chrétiens s’inscrivent dans ces pays arabes, il consacre un premier chapitre à expliciter le terme de « chrétiens d’Orient » (équivalent pour son étude à celui de « chrétiens arabes ») et à présenter la diversité des Eglises d’Orient, dont il propose un regroupement en 7 grandes familles (cf pages 24 à 26). Bien qu’elles soient loin de constituer un ensemble homogène, ces communautés sont pour lui réunies par 3 caractéristiques essentielles :
– l’arabité – en tant que langue, culture et appartenance – qui constitue le dénominateur commun des chrétiens d’Orient ;
– le dialogue de vie avec l’Islam, imposé par la cohabitation historique islamo-chrétienne dans l’Orient arabe ;
– et enfin, la question palestinienne et l’engagement pour la cause palestinienne, qui constituent la « cause commune » du monde arabe. A l’exception de l’Irak, tous les pays qu’il étudie ont d’ailleurs une frontière commune avec la Palestine.
Ces pays se voient ensuite chacun consacrer un chapitre, dont le titre éclaire la situation et les défis des chrétiens arabes qui en font partie :
– « Le Liban, pays du régime confessionnel » (ch. 2)
– « La Jordanie, royaume des chrétiens heureux ? » (ch. 3)
– « L’Irak, terre des exodes chrétiens ? » (ch. 4)
– « La Terre Sainte, souffrances et espoirs du lieu d’origine » (ch. 5, consacré à la situation des Palestiniens chrétiens, à la fois en Palestine et en Israël)
– « L’Egypte, le combat pour la citoyenneté » (ch. 6)
– « La Syrie, pays des minorités protégées ? » (ch. 7)

Chacun de ces chapitres constitue une passionnante étude associant un rappel des principaux évènements historiques ayant durablement façonné la situation des chrétiens dans ce pays ; une estimation de leur poids démographique et politique ; leurs rapports avec les institutions de l’Etat ; leur rôle éducatif, culturel et social ; et les enjeux actuels de leur présence et des questions auxquelles ils sont confrontés. C’est une très utile présentation du contexte historique et politique de ces pays et des relations islamo-chrétiennes qui s’y sont établies, ainsi qu’une aide précieuse à la compréhension des évènements, y compris les plus difficiles voire tragiques, auxquels ces communautés ont pu être confrontées.

A noter, bien que l’écriture du livre ait été achevée à l’été 2013, le chapitre consacré à l’Irak qui s’avère particulièrement éclairant sur les causes et les étapes d’une « longue descente aux enfers qui n’en finit pas » (p. 99) et d’un « chaos sécuritaire poussant violemment et rapidement à l’exode » (p. 115) malgré les efforts des Eglises pour préserver une présence chrétienne dans ce pays.

La question que pose l’auteur pour les chrétiens d’Irak (et qui peut valoir pour d’autres pays arabes) est dès lors la suivante : « Le gouvernement central et l’islam politique auront-ils le courage de relever le défi du pluralisme, de la citoyenneté et des droits de l’homme ? Seul ce défi peut actuellement prévaloir sur le fanatisme et le terrorisme » (p. 121).

Dans la plupart des pays décrits par l’auteur cette question est d’autant plus d’actualité que la légitimité du pouvoir politique est souvent fragile, constituant ainsi une source d’insécurité et un facteur d’émigration pour les minorités (dont les chrétiens). Et par ailleurs la société dans laquelle vivent les chrétiens arabes est confrontée à l’influence croissante d’un islam radical, qui fragilise les formes historiques du dialogue interreligieux qui a pu être établi avec un islam modéré. C’est notamment le cas en Egypte, auquel l’auteur consacre un chapitre très éclairant sur les discriminations subies par les coptes et l’évolution des relations entre l’église copte et le pouvoir politique.

La question de la permanence de la présence de chrétiens dans ces pays se pose donc souvent de façon aiguë, surtout lorsque, comme en Palestine, une situation économique très précaire laisse peu d’alternative à l’exil.
A contrario, on lira avec intérêt la description de la situation des chrétiens en Jordanie, où le soutien de la monarchie hachémite mais aussi des garanties institutionnelles paraissent avoir pu assurer une liberté de culte et une protection contre les discriminations, et permettent en corollaire aux chrétiens un engagement important dans le domaine éducatif, culturel et social.

Dans la conclusion du livre, A. Fleyfel souligne que les chrétiens d’Orient représentent « l’Autre » dans l’Orient arabe, « l’élément qui pousse à sortir de soi, qui provoque à la recherche de régimes politiques citoyens, garants de la diversité humaine et de la liberté de conscience » (p. 212).
L’auteur, convaincu de l’importance de la présence de communautés chrétiennes dans ces pays, fait preuve d’une grande lucidité sur les menaces qui existent (y compris parfois les « démons internes » des églises) et les défis qu’elles doivent relever. Et à ce titre, sans sous-estimer les difficultés auxquelles ces chrétiens sont confrontés, il relève comme un signe d’espoir pour l’avenir le fait que « beaucoup de chrétiens et de musulmans arabes se rejoignent dans un combat laïc et citoyen pour l’homme arabe ».

Relativement court pour un aussi vaste sujet, d’une écriture dense mais claire, cet ouvrage s’appuie sur une solide documentation complétée par de nombreuses notes de bas de page. Celles-ci fournissent de nombreuses pistes d’approfondissement (par exemple en ce qui concerne les positions des églises chrétiennes arabes sur la Palestine, ou sur l’engagement des communautés chrétiennes dans l’action éducative et sociale). Voici donc un livre qui apporte d’indispensables et passionnantes clés de compréhension historique sur les situations si diverses dans lesquelles se trouvent ces communautés chrétiennes, qu’elles soient importantes quantitativement (Egypte) ou proportionnellement à la population (Liban), ou, au contraire, devenues très minoritaires.

Ce livre ouvre des pistes de réflexion très éclairantes quant à l’avenir possible de la présence et du témoignage des chrétiens sur le sol arabe.

Bertrand Wallon

Chrétiens de la Médierranée

27.09.2014

Annie Laurent, Géopolitique d’une chrétienté, L’homme nouveau, 01.02.2014

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Article paru dans L’Homme nouveau n° 1559 du 1er février 2014

GÉOPOLITIQUE D’UNE CHRÉTIENTÉ

Titulaire de deux doctorats, l’un de philosophie, l’autre de théologie, obtenus dans les universités de Paris et de Strasbourg, Antoine Fleyfel vient de publier Géopolitique des chrétiens d’Orient (1) dont la lecture est vivement recommandable. L’auteur, franco-libanais, commence par s’interroger sur le bien-fondé de la formule globale « chrétiens d’Orient » appliquée à ces disciples du Christ dont les identités ethniques, religieuses et nationales sont multiples. Cette désignation ne manque pas d’ambiguïté non plus si l’on tient compte du fait que l’Orient chrétien s’étend bien au-delà des frontières du Levant, à l’est et au nord (on pense, entre autres, à l’Inde et aux pays slaves). Fleyfel choisit finalement de conserver l’appellation classique en limitant toutefois son étude aux chrétiens du monde arabe, répartis sur six territoires (Liban, Jordanie, Irak, Terre sainte, Egypte et Syrie). Avec clarté, il présente la position de ces communautés dans chacun de ces pays à l’époque moderne, expliquant leurs évolutions politiques à travers leur rapport à l’arabité (alors que beaucoup d’entre elles ne sont pas de souche arabe mais ont été arabisées à partir de la conquête musulmane) et leurs relations avec l’Islam contemporain, tout ceci sur le fond des bouleversements surgis ces dernières décennies au Proche-Orient (création d’Israël, guerres d’Irak, terrorisme, révoltes arabes, etc.).

Dans la liste des pays retenus, le Liban occupe la première place en raison du statut privilégié dont disposent ses citoyens chrétiens comparé à ceux du voisinage. L’auteur s’attarde sur les événements douloureux survenus au pays du Cèdre depuis 1975 et sur leurs conséquences dommageables pour les chrétiens. A cet égard, il faut lui savoir gré de montrer en quoi l’expression « guerre civile » trop souvent retenue en Occident pour qualifier ce conflit est erronée. A cause de sa fragilité congénitale, le Liban attire toutes sortes d’ingérences étrangères ; il est le réceptacle de tous les antagonismes régionaux, voire internationaux. Déprimés, frustrés, et surtout divisés, les chrétiens ont perdu beaucoup de leur influence politique mais, souligne l’auteur, ils manifestent une vitalité stimulante au niveau ecclésial et culturel.

En Jordanie, la bienveillance de la monarchie hachémite envers les Eglises suffit-elle à rendre leurs fidèles heureux ? Les chrétiens d’Irak et de Syrie pourront-ils survivre au chaos actuel ? Ceux d’Egypte obtiendront-ils enfin d’être pleinement respectés ? Comment les baptisés peuvent-ils survivre en Terre sainte ? Partout, l’islamisme croissant pèse lourd sur l’avenir. Face à de tels défis, Antoine Fleyfel souhaite pourtant que les chrétiens arabes résistent à la tentation du repli identitaire au profit du combat pour faire triompher les valeurs qui leur sont chères. D’après lui, c’est pour eux le seul moyen de servir la cause de ce monde arabe dont ils ont intérêt à se sentir solidaires.

Annie Laurent

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(1) L’Harmattan, 215 p., 23 €.

 

L’avenir des chrétiens d’Orient, une vision optimiste, revue Conflits, 02.2014

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Annie Laurent, Présentation de la Géopolitique des chrétiens d’Orient, Radio Espérance, 15.01.2014

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Je voudrais aujourd’hui présenter un livre récent publié par les éditions L’Harmattan sous le titre « Géopolitique des chrétiens d’Orient ». Son auteur, Antoine Fleyfel, Français d’origine libanaise, enseigne à l’Université catholique de Lille.

            Dans la masse des nombreux ouvrages consacrés ces temps-ci aux chrétiens d’Orient, on peut se demander ce que celui-ci apporte de nouveau. Son propos est d’analyser la place et le rôle des chrétiens dans l’Orient arabe (Liban, Jordanie, Irak, Terre sainte, Egypte et Syrie), zone à laquelle l’auteur a choisi de se limiter. Cela exclut donc la Turquie et l’Iran, pays qu’on classe habituellement dans l’ensemble territorial désigné par « Proche-Orient ».

Ce choix a le mérite de préserver une unité culturelle fondée sur le concept d’arabité. Aujourd’hui, cette identité, qui s’est imposée par la conquête arabo-musulmane à partir du VIIème siècle, ne pose pratiquement plus de problème aux chrétiens de la région ; certains la revendiquent même avec fierté. Pourtant, les seuls qui soient vraiment de souche arabe sont ceux de Jordanie et une partie de ceux de Palestine, car ces deux territoires constituaient jadis le nord de l’Arabie. Les autres chrétiens du Proche-Orient ne sont pas tous de souche arabe. Ainsi, en Irak, les assyro- chaldéens se réfèrent à l’ancien peuple assyrien qui composait autrefois la Mésopotamie ; en Egypte, les coptes tiennent à leurs racines qui remontent à l’époque des Pharaons ; au Liban, les maronites aiment parfois se rattacher aux Phéniciens qui peuplaient encore le littoral méditerranéen au temps de Jésus. L’Evangile nous rapporte que le Christ en a rencontrés à Tyr et à Sidon.

Quant aux chrétiens de Syrie, bien que n’étant pas, eux non plus, à strictement parler de souche arabe, ils n’ont aucun problème avec cette identité. Cela provient du fait que l’idéologie du nationalisme arabe est née à Damas au début du XXème siècle ; elle a été conçue et portée par des chrétiens. Il s’agissait pour eux de promouvoir un système social et politique fondé sur l’arabité et non plus sur l’islam, donc sur un critère ethnique ou culturel et non religieux. Pour des communautés devenues minoritaires, cette option avait l’avantage de transcender les clivages confessionnels et devait, en principe, ouvrir la voie à l’égalité entre tous les citoyens. Le régime actuel qui gouverne la Syrie est d’ailleurs l’héritier de cette idéologie. Quel que soit le regard que l’on porte sur l’autoritarisme du président Bachar El-Assad, il faut reconnaître qu’il a su organiser des relations apaisées entre les communautés religieuses de son pays. Cela permet de comprendre la position inconfortable des chrétiens dans le contexte de crise actuel qui leur fait redouter un changement de régime. Antoine Fleyfel explique très bien leur situation, avec toutes les nuances qui s’imposent.

Il reste cependant au Proche-Orient des chrétiens qui ont résisté à l’arabisation. Tel est surtout le cas des Arméniens qui, tout en parlant l’arabe, ont conservé leur langue et leur culture propres.

            L’auteur donne au Liban la première place. Et c’est normal, compte tenu du statut d’exception dont jouissent ses citoyens chrétiens, comparé à ceux du voisinage. A propos des crises que connaît le pays du Cèdre depuis 1975, il faut savoir gré à Fleyfel d’expliquer en quoi l’expression « guerre civile », trop souvent retenue en Occident, est erronée. A cause de sa fragilité congénitale, le Liban multiconfessionnel attire toutes sortes d’ingérences et de convoitises étrangères ; il est le réceptacle de tous les antagonismes régionaux, voire internationaux. Déprimés, frustrés, et surtout divisés, les chrétiens ont perdu beaucoup de leur influence politique mais, souligne l’auteur, ils manifestent une vitalité stimulante au niveau ecclésial et culturel.

            Antoine Fleyfel montre comment, dans les six pays objet de son étude, l’islamisme triomphant, qui a vaincu l’arabisme laïcisant, pèse sur l’avenir des chrétiens. Face à un tel défi, il souhaite que les disciples du Christ résistent à la tentation du repli identitaire au profit du combat pour faire triompher les valeurs qui leur sont chères. D’après lui, c’est pour eux le seul moyen de servir la cause de ce monde arabe dont ils ont intérêt à se sentir solidaires.

 Annie Laurent

Radio Espérance

15.01.2014

Les chrétiens d’Orient, avec Carole Dagher et Antoine Fleyfel, L’Orient Le Jour, 26.09.2013

Publié dans l’Orient Le Jour le 26.09.2013

RENCONTRE-DÉBAT À PARIS C’est sous le thème des « Chrétiens d’Orient » qu’une rencontre a été organisée à l’iReMMO (Institut de recherche et d’études Méditerranée et Moyen-Orient) avec Carole Dagher, écrivain, journaliste et politologue, et Antoine Fleyfel, maître de conférences à l’Université catholique de Lille et docteur en philosophie et en théologie, et ce à l’occasion de la parution de leurs nouveaux ouvrages, Réflexions libanaises et Géopolitique des chrétiens d’Orient, tous deux parus dans la collection Pensée religieuse et philosophique arabe, chez L’Harmattan.

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Dans Réflexions libanaises, Carole Dagher aborde les quatre axes d’appartenance identitaire qui sont les siennes : être libanaise et maronite, faire partie de la chrétienté d’Orient et porter un patrimoine culturel arabe. Quand on appartient à ces quatre ensembles à la fois, quel rôle assumer dans son environnement ? « Sommes-nous maîtres de notre destin ou bien condamnés à reproduire les schémas inhérents à notre géographie sociale, religieuse, politique ? Avons-nous encore la capacité de façonner l’avenir ou seulement le luxe de le penser ? Le Liban est-il une belle idée qui peine à se matérialiser ? » s’interroge l’auteure. Elle y analyse notamment les rouages d’une démocratie libanaise, à l’origine « idéale », mais que les marchandages confessionnels ont viciée, y rend un hommage notoire à deux figures maronites qui l’ont marquée, les pères Youakim Moubarak et Michel Hayek, tente de formuler la vocation des chrétiens d’Orient et aborde les questions fondamentales de la reconstruction d’un État de droit, qui reste le grand chantier à réaliser, au Liban comme dans tout le monde arabe, en appelant de ses vœux une nouvelle renaissance arabe.

Antoine Fleyfel analyse, quant à lui, avec beaucoup d’acuité, l’espace géographique, historique et culturel, des chrétiens du Proche-Orient arabe, dans les six pays du Machreq, le Liban, la Syrie, la Jordanie, la Terre sainte, l’Irak et l’Égypte. Cet espace qui « modèle et détermine leur présence, leur politique et leur avenir, est en extension, dans le sens où leur cause traverse, grâce à la mondialisation, les frontières de leur pays, pour parvenir aux diasporas et aux États », précise-t-il. Grâce aux technologies de l’information, cet espace devient aussi celui de la circulation des informations. L’auteur, qui s’occupe également des relations académiques de l’Œuvre d’Orient, annonce la couleur dès l’introduction : récusant les « prophéties de malheur » qui prédisent la disparition des chrétiens d’Orient, il considère que ceux-ci, en tant que chrétiens arabes, « appartiennent au devenir de leurs pays » et vivent des situations politiquement, ou géopolitiquement, différentes. Les rapports de force auxquels ils sont soumis sont essentiellement liés au facteur démographique, au pouvoir économique, politique et militaire, ainsi qu’aux idées, cultures et religions, souligne encore Antoine Fleyfel.

Cette approche géopolitique des chrétiens d’Orient pousse l’auteur à développer leur histoire dans chaque pays abordé, leur statut, leur rapport à l’islam, les problèmes socio-économiques et politiques auxquels ils sont confrontés et les perspectives d’avenir. Cette approche différenciée et « nationale » permet d’envisager avec plus de nuances la situation et le combat spécifique des chrétiens dans leurs pays respectifs, sans généralisation. C’est, pour l’auteur de la Théologie contextuelle arabe – Modèle libanais (2011), qui dédie son livre au philosophe Mouchir Aoun, l’approche la plus réaliste qui soit d’une cause qui est loin d’être uniforme.

Jacques Schouwey, recension de la “Théologie contextuelle arabe” publiée dans “Choisir” (Suisse), revue culturelle, n° 625 – janvier 2012, p.39-40

Recension de la “Théologie contextuelle arabe” effectuée par Jacques Schouwey dans “Choisir” (Suisse), revue culturelle, n° 625 – janvier 2012, p.39-40.

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Antoine Fleyfel, La théologie contexte arabe. Modèle libanais, coll. “Pensée religieuse & philosophique arabe”, L’Harmattan, Paris, 2011, 330 p., 31,50 euros.

Franco-libanais né à Beyrouth en 1977, Antoine Fleyfel est un homme aux multiples talents : musicien, journaliste, polyglotte, traducteur, enseignant, il est docteur en philosophie et en théologie. Dès 2012, il enseignera ces deux branches à l’Université catholique de Lille.
L’ouvrage qu’il vient de publier est sa thèse de doctorat sur quelques théologiens libanais. Il donne des informations précieuses sur l’histoire, la théologie et la vie des communautés chrétiennes au Liban sous ses aspects humain, culturel, politique, œcuménique et interreligieux. L’auteur y montre aussi les nombreux défis auxquels devraient faire face les chrétiens au Moyen-Orient.
En prenant la théologie libanaise comme modèle de la théologie contextuelle, l’Auteur présente « un nouveau paradigme de la théologie qui opère un changement dans le monde de la théologie, au niveau de sa pratique, de son élaboration et de son rapport à l’Ecriture, aux traditions et au contexte.» (63) La théologie contextuelle, qui tient compte de l’expérience subjective, doit permettre d’éviter de confondre christianisation et occidentalisation. Les penseurs dont les idées sont présentées et analysées ont tous en commun trois éléments majeurs : leur souci de l’œcuménisme, le soin de proposer des critères pour un dialogue interreligieux novateur évitant tout prosélytisme, et une position claire sur la question palestinienne. Tous aussi, selon Fleyfel, s’opposent au sionisme, tout en respectant le judaïsme.
Michel Hayek veut trouver à l’islam une place dans l’histoire du salut. Rattachant l’islam à Abraham, il affirme qu’il n’est ni anti-juif, ni anti-chrétien, mais anté-juif et anté-chrétien. Pour lui, le Liban chrétien – et les maronites en particulier – a une grande responsabilité en Orient : il doit rendre accessible le Christ aux musulmans. Son message n’est pas seulement spirituel, mais aussi humaniste. Il touche à la liberté et au pluralisme. Hayek s’oppose au confessionnalisme (égalité des représentants chrétiens et musulmans dans les pouvoirs publics), car c’est lui qui est souvent considéré comme la cause du problème libanais et de la guerre. Le confessionnalisme « empêche les Libanais d’être libres au sein de leur patrie et d’être des hommes. »(98).
Farouche défenseur de la cause palestinienne, Youakim Moubarak veut que le dialogue islamo-chrétien aborde des questions dogmatiques et n’en reste pas à des questions éthiques et culturelles. Pour lui, l’islam n’est pas une dérive chrétienne sectaire, mais une réactualisation arabe de la foi d’Abraham. (109) Il voit dans l’islam une religion universelle. Un axe important de sa pensée est celui de l’appartenance des chrétiens d’Orient au monde arabe.
Archevêque de Beyrouth entre 1965 et 1975, Grégoire Haddad est démis de ses fonction par le synode, parce qu’il ne correspond pas au standing de son rang, il est trop humble. Surnommé « l’évêque rouge », il est connu pour son engagement social. Il veut une « recherche religieuse radicale », « parce que la religion est une dimension de l’homme et de la société, dimension non provisoire, mais fondamentale et inhérente à l’homme. » (154-5) Sans nier le rôle de l’Ecriture, de la Tradition et du Magistère, Haddad considère que seuls le Christ et l’homme sont les critères absolus de la recherche religieuse. Dans sa démarche, il veut libérer le Christ des représentations traditionnelles pour « faire parvenir le Christ vivant à l’homme vivant. » (158) Pour le Liban, Haddad milite en faveur d’un engagement chrétien en politique et pour un régime politique laïc. Une laïcité globale doit pouvoir viser l’intérêt général. Fleyfel montre que la conception de Haddad rencontre des difficultés de la part des musulmans pour qui les herméneutiques du sacré sont intransigeantes, alors que le christianisme de Haddad repose sur une liberté herméneutique et exégétique.
Présentant la pensée de Georges Khodr, l’Auteur y voit un évêque orthodoxe qui « pense aux voies de rencontre possibles avec l’islam. » (177) Quatre axes articulent cette pensée : le mouvement de réforme du monde arabe, l’engagement pour la cause palestinienne, la dénonciation du sionisme et la réflexion sur la situation au Liban, au Moyen-Orient et dans le monde entier à partir de la foi chrétienne.
Khodr reprend le concept d’une « Eglise des Arabes », développé par Jean Corbon. Il dissocie arabité et arabisme, laïcité et laïcisme ou sécularisme, pour faire ressortir la nécessité de séparer la religion et la politique. La théologie politique de Khodr lie intimement arabité, laïcité et cause palestinienne.
Quant à Mouchir Aoun, jeune penseur libanais, il « propose des solutions aux impasses du dialogue interreligieux, pense les potentialités du renouveau du discours théologique arabe et suggère une laïcité modérée qui est supposées délivrer le Liban des impasses du confessionnalisme. » (219) Il considère le pluralisme religieux comme l’antidote à la violence dans son pays.
S’il voit dans la théologie contextuelle un progrès dans la pensée et des voies d’avenir pour l’avenir de la cohabitation des religions en milieu arabe, Fleyfel déplore cependant que les tentatives élaborées par les penseurs abordés n’aient pas encore eu de suite dans les faits.
Ouvrage de fine analyse et de questionnements multiples, ce livre constitue une excellente approche du milieu théologique, politique, culturel et social du Liban et de la place de ce pays comme modèle possible pour l’établissement d’une paix durable au Moyen Orient.

Jacques Schouwey