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La situation précaire des chrétiens d’Orient, La Croix, 11.04.2017

La situation précaire des chrétiens d’Orient

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Les attentats du dimanche 9 avril contre deux églises en Égypte, à Alexandrie et à Tanta, revendiqués par la branche égyptienne de Daech sont parmi les plus sanglants commis ces dernières années contre les Coptes qui représentent 10 % des 92 millions d’Égyptiens. Avec la montée de l’islam politique, la situation des chrétiens d’Orient, en Égypte, en Irak et en Syrie est de plus en plus précaire, à l’exception du Liban.

Les coptes d’Égypte, première communauté chrétienne du Moyen-Orient

Les statistiques font état de 10 % de coptes parmi les 92 millions d’Égyptiens. Mais d’après l’historien Tewfik Aclimandos, enseignant à l’université du Caire, cette estimation de la plus importante et plus ancienne communauté chrétienne du Moyen-Orient est certainement surévaluée. « Même à l’époque de la tutelle britannique, la minorité copte n’atteignait pas cette proportion. Une fourchette de 5,5 % à 7 % de coptes semble plus réaliste, soit 5 à 6,5 millions de personnes, évalue l’historien. Cela fait tout de même beaucoup de monde ! »

Si les coptes ont participé au soulèvement de 2011 contre Hosni Moubarak, quelque 100 000 d’entre eux se sont exilés, notamment à la suite de la répression par l’armée de leur manifestation qui fit plusieurs dizaines de morts en octobre 2011. Les coptes réclamaient alors plus de droits – l’accès aux hautes fonctions dans l’administration ou l’armée –, dans une société qui leur refuse une égalité de traitement.

« Le phénomène migratoire s’est poursuivi sous la présidence Morsi – la confrérie des Frères musulmans étant antichrétienne – et se poursuit encore, mais la religion et les attaques ne sont pas le seul facteur, la dégradation des conditions économiques y contribue et pousse aussi au départ nombre de musulmans, poursuit Tewfik Aclimandos. La menace Daech qui ne se cantonne plus au Sinaï mais gagne la vallée densément peuplée risque d’aggraver le phénomène. »

En Irak, plus guère d’espoir

2016 fut une amère revanche pour les chrétiens d’Irak. Fin octobre, les forces irakiennes ont commencé à reconquérir Mossoul et ont arraché les villes chrétiennes de Karakoch et Bartella à Daech. Mais les cris de victoire ont été de courte durée au vu des destructions et des pillages. Très peu de familles ont pu retourner y vivre, après en avoir été chassées en 2014. Cet été-là, face à l’avancée de Daech, quelque 125 000 chrétiens de la plaine de Ninive avaient dû fuir pour se réfugier dans la région autonome du Kurdistan, au nord-est de l’Irak.

Aujourd’hui, on estime le nombre de chrétiens en Irak à moins de 300 000, soit à peine 1 % de la population (ils étaient plus d’un million avant 2003) : une moitié à Bagdad, l’autre à Kirkouk et dans le Kurdistan irakien, principalement à Ainkawa, le quartier chrétien de la capitale Erbil, mais aussi à Soulemanieh et à Dohouk, les deux autres cités du Kurdistan d’Irak. Parmi ces 300 000 chrétiens, la grande majorité relève de l’Église chaldéenne (catholique), l’une des onze Églises orientales de différents rites (chaldéen, byzantin, arménien, latin…) présentes en Irak.

Ceux installés au Kurdistan avant 2014 ont profité d’un certain boom économique, avec la découverte de pétrole, l’ouverture d’hôtels, de centres commerciaux et de bars (avec alcool). Ceux arrivés depuis 2014 ont vu leur situation humanitaire s’améliorer, grâce à l’aide d’ONG et des Églises : les réfugiés ont pu être relogés dans des bâtiments en dur ou des cabanons ; une dizaine d’écoles arabophones ont été construites (les chrétiens de la plaine de Ninive ne parlent pas kurde), ainsi que plusieurs églises. Il y a même le projet d’ouvrir à Erbil une université catholique anglophone.

Mais au Kurdistan, pourtant réputé stable, le danger reste présent, du fait des infiltrations de djihadistes : le 29 septembre 2013, six kamikazes s’étaient fait exploser à Erbil, devant le bâtiment des forces de sécurité du parti démocratique du Kurdistan (PDK) de Massoud Barzani. De plus, nombreux sont les réfugiés qui ne pardonnent pas aux Kurdes de s’être repliés en août 2014, sans combattre Daech.

Aussi, les chrétiens d’Irak et du Kurdistan sont de plus en plus nombreux à quitter cette région. Entre 2014 et 2015, Mgr Bachar Matti Warda, archevêque chaldéen catholique d’Erbil, a constaté le départ de plus de 3 000 familles parmi les 13 500 réfugiées dans son diocèse. Les chrétiens, qui ont payé le prix fort de la guerre en Irak, n’ont plus guère d’espoir : ni pour eux-mêmes (aucun espoir de pouvoir retourner avant longtemps dans leurs villes et villages d’origine), ni pour leurs enfants (difficulté à trouver du travail dans leur pays). Ainkawa se trouve alors être la dernière étape avant le saut vers l’Europe, le Canada ou l’Australie.

Au Liban, un vrai pouvoir politique

Pour Antoine Fleyfel, professeur de philosophie et de théologie à l’université catholique de Lille, la situation des chrétiens au Liban est très différente de celle des chrétiens d’Irak ou même d’Égypte. « Le Liban, rappelle-t-il, a été créé par les chrétiens maronites et pour les chrétiens du Liban qui voulaient un État national », afin de s’affranchir du mandat français.

Le Liban d’aujourd’hui est un pays où les chrétiens ont un pouvoir politique auquel s’ajoute un poids démographique – ils représentent 39 à 40 % de la population totale alors qu’ils n’étaient que 35 % en 1975. Ils sont actuellement environ 1,5 million de chrétiens dont un million de catholiques, principalement maronites, grecs-melkites, syriaques, arméniens.

Comment expliquer que leur situation soit différente de celle d’autres chrétiens de la région ? « À la différence des coptes d’Égypte et des chrétiens d’Irak, ceux du Liban remplissent les trois paramètres géopolitiques : le pouvoir politique et économique, démographique et l’influence culturelle, poursuit Antoine Fleyfel. Certes, ils sont inquiets quand ils voient le sort réservé aux autres chrétiens du Proche-Orient, certains même redoutent de faire eux aussi les frais de l’islam politique, mais les conjonctures ne sont pas les mêmes. « Les chrétiens du Liban doivent relever le défi de leur présent et de leur avenir, mais, conclut Antoine Fleyfel, les conditions de leur existence au Liban sont réunies pour qu’elles durent. »

En Syrie, un avenir incertain

La Syrie comptait environ un million de chrétiens au début du conflit, soit 4,6 % de la population, selon les estimations du démographe Youssef Courbage. Ils ne seraient plus que la moitié, estiment certains spécialistes. Ayant plus de liens familiaux à l’étranger que leurs concitoyens musulmans, ils sont pour beaucoup partis vers le Liban, l’Europe ou le Canada. Avant même d’être frappée par les exactions des islamistes, cette minorité était affectée depuis des décennies par une forte émigration et un faible taux de natalité.

Contrairement aux Kurdes ou aux Alaouites, les chrétiens – les grecs-orthodoxes et grecs-catholiques sont les plus nombreux –, sont présents dans la plupart des villes syriennes. Il existe néanmoins, non loin de Homs, une « vallée des chrétiens » (Wadi al-Nasara) où ils sont nombreux à s’être réfugiés, fuyant les zones contrôlées par Daech.

« Comme tous les Syriens, les chrétiens subissent la guerre et l’instabilité, explique Zakaria Taha, maître de conférences à l’université de Grenoble. Mais ils sont plus inquiets que les autres pour leur avenir. » Couramment considérés comme des « traîtres » pro-régime, certains redoutent le pire en cas de chute de Bachar Al Assad. La tendance chez les chrétiens est au repli sur la famille et, souvent, au départ.

Mélinée le Priol, Claire Lesegretain, Agnès Rotivel et Marie Verdier
11.04.2017

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