Paru dans Actes du colloque international organisé par le Centre d’études et d’interprétation du fait erligieux de la faculté des sciences religieuses à l’université Saint Joseph, Beyrouth, février 2014, p. 11-21.
Comment articuler l’universalité et la particularité des religions ? D’autant que cette question se heurte presque toujours à des prétentions absolutistes, à des théologies exclusives ou inclusives. Dans tous ces cas de figure, le rapport entre le particulier et l’universel reste très problématique, puisque captif de lectures qui se saisissent d’une compréhension de la vérité divine, considérée comme la meilleure, voire la seule adéquate, et excluent ou tolèrent d’autres versions qui ne s’inscriraient que dans l’erreur ou dans l’incomplétude.
Dût cette investigation s’appuyer sur des éléments théologiques, elle est de nature philosophique. Il est effectivement question d’investir ce sujet à partir des pistes philosophiques proposées par John Hick qui, à partir de ses réflexions sur le pluralisme théologique, donne une réponse sérieuse à notre problématique. Mais avant de se verser sur sa réponse, il est de bon ton d’aborder brièvement sa biographie, pour ce qu’elle apporte d’éclairage à notre examen de sa réflexion.
Éléments biographiques[1]
John Hick (1922-2012) est un philosophe et théologien anglais qui enseigna longtemps aux États-Unis dans les domaines de la philosophie de la religion et de la théologie. Sa contribution au sujet du pluralisme théologique est majeure.
Sa pensée s’ancre indubitablement dans un cheminement personnel. Avant d’avoir 20 ans, il se convertit à l’évangélisme dans sa version stricte, et s’inscrivit à l’Université d’Edinburgh pour étudier la philosophie. À cette époque, la philosophie de Kant lui fut d’un attrait qui commença à mettre en question son fondamentalisme religieux. Longtemps membre de l’Église réformée unie en Grande-Bretagne (United Reformed Church), il dut faire face à un procès l’accusant d’hérésie entre 1961 et 1962. Cela concernait la confession de Westminster[2] ; Refusant d’admettre la naissance virginale de Jésus, Hick considérait que la question était ouverte à toute interprétation, et qu’il était agnostique à cet égard.
Le philosophe racontait son expérience de l’immigration en Grande-Bretagne dans les années 1950-1960. Elle le poussa à se poser la question du pluralisme théologique, puisque la grande diversité religieuse qui en découlait ne pouvait pas le laisser indifférent. Sa rencontre avec des réalités nouvelles représentées par des musulmans, des sikhs, des Hindous ou des pentecôtistes le poussait à réévaluer son positionnement théologique et spirituel. En fréquentant des mosquées, des synagogues, des temples et des pagodes, Hick constatait qu’il s’y passait la même chose que dans une église, c’est-à-dire qu’il s’y trouvait « des êtres humains ouvrant leurs esprits à une réalité divine qui les dépasse, reconnue comme personnelle et bonne, et exigeant une droiture et un amour entre les hommes. J’ai pu constater, [dit-il], que la foi sikh, par exemple, est pour le sikh dévoué, ce que la foi chrétienne est pour le chrétien sincère ; mais aussi que chaque foi est, très naturellement, perçue par ceux qui y adhèrent, comme unique et absolue »[3]. C’est ainsi qu’il considéra que l’une de ses vocations consistait à « œuvrer pour la nouvelle pratique de la théologie des religions […]. Il me semblait, [dit-il], que cela engageait une franche reconnaissance qu’il existait une pluralité de révélations divines et de contextes de salut »[4].
Cette pensée reçut maintes critiques, dont celle Joseph Ratzinger, alors préfet de la congrégation pour la Doctrine de la foi. Celui-ci considérait que des théologiens catholiques accusés de relativisme comme Jacques Dupuis, Peter Phan ou Roger Haight, étaient philosophiquement inspirés par lui. Dominus Iesus fut par ailleurs considérée comme une condamnation de la pensée de Hick. Trois ans avant sa mort, en 2009, Hick rejoignit la Société religieuse des Amis (Quakers), ce qui était en adéquation avec sa réflexion et qui révélait les grandes tensions qu’il vécut au sein de son Église.
Pratiques théologiques
Hick considère qu’il existe deux pratiques majeures de la théologie : il dénomme la première « théologie dogmatique » (dogmatic theology) et la seconde « théologie critique » (problematic theology). C’est ainsi qu’il les définit : « Alors que la pratique dogmatique de la théologie assume que ses positionnements de base représentent la vérité finale, la pratique critique de la théologie considère ses conclusions comme des hypothèses, sujettes à révision et toujours en quête d’un discours plus adéquat[5]. » Les deux restent nécessaires à son sens, mais lui s’inscrit franchement dans le sillage de la seconde, tout en reconnaissant adhérer jadis pleinement à la première qu’il disait toujours respecter. Ce sont les a priori de la théologie critique qui servent de fondement à son questionnement philosophique autour de la diversité religieuse, fondés sur une lecture pluridisciplinaire s’appuyant essentiellement sur l’histoire, l’exégèse, l’anthropologie ou la sociologie.
Cela étant, le philosophe considère que la vision traditionnelle qu’a le christianisme des autres religions fut forgée à une période d’ignorance de l’autre et de la vie religieuse de l’humanité. À cet égard, le christianisme n’a rien d’exclusif puisque cette pratique est partagée par toutes les religions. Et Hick de poursuivre sa réflexion en pensant qu’il est évident que sa religion soit une parmi plusieurs : « Nous étions comme un groupe de personnes qui descendait une longue vallée, chantant nos propres chants, développant au cours des siècles nos propres histoires et slogans, sans être conscients que derrière la colline, il y a une autre vallée, avec un autre excellent groupe de gens avançant dans la même direction, mais avec leurs propres langages et chants et histoires et idées[6]. »
Cependant, il constate que la religion chrétienne traverse, à ce sujet, trois phases de développement : commençant par un rejet total, traversant une sotériologie inclusive et finissant par une reconnaissance de la valeur intrinsèque des religions.
Pour illustrer la première phase, Hick cite deux extraits historiques. Le premier du concile de Florence (1439-1441) : « Toute personne restant en dehors de l’Église catholique, non seulement les païens, mais aussi les juifs, les hérétiques ou les schismatiques, ne peut prendre part à la vie éternelle ; Mais ils iront au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges, sauf s’ils rejoignent l’Église à la fin de leur vie ». Et le second du message du « Congress on World Mission at Chicago » (1960) : « Depuis la guerre, plus d’un milliard d’esprit sont passés dans l’éternité, et plus de la moitié de ceux-là est allée au tourment du feu de l’enfer, sans entendre parler de Jésus Christ, de qui il était, ou de pourquoi il est mort sur la Croix du calvaire[7]. » Enfin, il considère la doctrine excluant le salut en dehors de l’Église ou du christianisme n’est plus acceptée à la lumière de connaissance actuelle de l’autre.
Pour illustrer la deuxième phase, Hick parle d’une acceptation d’un salut des autres mais seulement à travers la religion chrétienne. À ce sujet, il cite la théorie du chrétien anonyme de Rahner qu’il rejette. Considérer que la grâce divine touche les autres mondes de foi à travers le christianisme, c’est-à-dire à travers la personne et la croix du Christ, correspond pour Hick à dire que la lumière du soleil ne peut atteindre les autres planètes que si elle est reflétée en premier lieu par la terre[8].
Pour illustrer la troisième phase, le philosophe évoque la reconnaissance de la valeur salvifique contenue chez les autres. La suite de ce travail s’étendra sur la réflexion de Hick à ce sujet.
Notons que ces trois phases évoquées correspondent aux trois manières de concevoir la théologie du dialogue, c’est-à-dire à partir de l’exclusive, l’inclusivisme et le pluralisme.
La révolution copernicienne de Hick
Hick parle de sa proposition comme d’une révolution copernicienne qui consiste en un passage paradigmatique d’un christianisme centré autour de Jésus (Jesus centered), à une vision qui centrée sur Dieu, fondement de toute sorte de foi religieuse[9]. Cette révolution est supposée avoir des conséquences de taille sur le dogme chrétien au sein duquel il faudra passer d’un christocentrisme à un théocentrisme. Ainsi c’est Dieu qui sera le centre et l’objet de l’adoration de toutes les religions, y compris le christianisme : « Nous devons réaliser que l’univers de la foi est centré autour de Dieu, et non autour du christianisme ou autour d’une autre religion. Il est le soleil, la source originaire de la lumière et de la vie, celui que toutes les religions reflètent à partir de leurs propres manières[10]. »
Ce nouveau paradigme a des implications considérables en christologie. En considérant Jésus comme littéralement le Dieu incarné, la deuxième hypostase de la Trinité, il est impossible de dépasser une vision traditionnelle invitant toute l’humanité à la foi chrétienne. La solution à ce problème consiste ainsi à considérer les notions de l’incarnation et de la divinité du Christ comme métaphoriques, mythiques, comme des expressions poétiques de la dévotion chrétienne au Seigneur, expressions appartenant au langage imaginaire des anciennes cultures[11]. La tradition chrétienne a transformé cette poésie en prose, et par conséquent, le métaphorique Fils de Dieu devint un Fils de Dieu métaphysique, la deuxième hypostase de la Trinité. Néanmoins, en tant que métaphore, le discours sur l’incarnation fournit une manière familière pour exprimer le fait d’être disciple de Jésus, le Seigneur et le Sauveur. Cela permet aussi de dire que « Jésus est notre contact vivant avec le Dieu transcendant »[12].
Concernant la personne du Christ, Hick adopte des résultats exégétiques faisant une distinction, voire une séparation entre le Jésus de l’histoire et celui du dogme. Ainsi il considère que le Jésus pré-pascal ne s’est pas proclamé comme Messie ou Fils de Dieu, ni n’a accepté qu’on le désignât comme tel. Le Jésus historique n’a jamais enseigné qu’il est Dieu. L’idée de l’incarnation n’est que métaphorique et mythique.
En comprenant l’incarnation sous cet angle, Jésus ne sera plus considéré comme le seul moyen d’accès à Dieu. Il pourra être révéré comme celui à travers qui le salut est communiqué, sans devoir nier les autres chemins se déclarant comme une voie de salut. Cela permet de préserver la foi chrétienne sans dévaloriser les autres formes de foi ou les reléguer à un rang inférieur : « Nous pouvons dire qu’il y a salut en Christ sans dire qu’il n’y a pas de salut en dehors du Christ. »
Quelles assises philosophiques à ce pluralisme ?
De prime abord, Hick constate que quelle que soit notre appartenance religieuse, chrétienne, musulmane ou autre, elle dépend presque toujours du monde dans lequel nous sommes nés : « D’un point de vue réaliste, l’engagement religieux de chacun est normalement une question de ‘‘religiosité ethnique’’ plutôt que d’un jugement comparatif délibéré et d’un choix[13]. » Effectivement, « nous avons été formé depuis notre enfance dans notre tradition, absorbant ses valeurs et ses présupposés. Cela est devenu une partie de nous comme notre nationalité, notre langage et notre culture ; les traditions religieuses étrangères peuvent paraître comme étranges, comiques ou bizarres comme un nom étranger, des coutumes ou une nourriture peuvent l’être »[14]. Ainsi, il existe un conditionnement historique des religions : « Dans chaque cas, les expériences de révélation et les traditions religieuses qu’elles ont crées furent conditionnées par l’histoire, la culture, le langage, le climat, et certainement toutes les circonstances concrètes de la vie humaine, dans un espace-temps particulier. Et même si la forme culturelle et philosophique de la révélation du divin était caractéristiquement différente dans chaque cas, nous pouvons croire que le Seul Esprit œuvrait partout, agissant dans l’esprit humain[15]. »
Mais pourquoi cette différence de la perception du divin existe-t-elle ? Pourquoi celui-ci ne se révèle-t-il pas d’une manière similaire partout ? Pour répondre à cette question, Hick s’appuie, entre autres, sur l’adage de Thomas d’Aquin : « Tout ce qui est perçu est perçu selon le mode de celui qui perçoit[16]. » Ainsi, « l’idée générale de la divinité a été concrétisée dans l’expérience juive par l’image de Yahvé comme un être personnel qui existe en interaction avec le peuple juif. Il est une partie de leur histoire et ils sont une partie de la sienne. Mais Yahvé est différent, par exemple, de Krishna, qui est une personnification hindou particulière de l’Éternel, en relation à la communauté Vaishnavite de l’Inde »[17].
Pour inclure toute les religions dans sa réflexion, Hick a recours à des concepts où les différentes expériences du divin peuvent être contenues. Ainsi utilise-t-il, selon ses articles, différents termes pour décrire l’objet des religions : « l’Un Éternel » (Eternal One), ou « Réalité ultime » (Ultimate Reality), voire le « Vrai » (the Real).
L’Un Éternel a toujours cherché à communiquer avec l’esprit humain, cherchant à se faire connaître. Par conséquent, la révélation est forcément plurielle puisqu’elle a lieu dans différents endroits de la culture humaine. Dans le monde sémitique et patriarcal, on pensa Dieu en terme masculin en tant que Dieu le Père. Dans le monde indien, pour des raisons culturelles, Dieu fut pensé comme Mère. Dans tous les cas qu’il cite, il considère qu’il y a une perception authentique du divin, « mais la forme concrète qu’il prend dépend des facteurs culturels »[18]. Ceux-ci peuvent être catégorisés dans deux manières de concevoir l’Un Éternel : la première à partir du concept de la déité, c’est-à-dire l’Un Éternel en tant que personnel (modèle théiste), et la seconde à partir du concept de l’absolu, ou l’Un Éternel comme non personnel (religions non théistes). C’est à ce moment de sa réflexion qu’intervient Kant.
Hick veut faire la différente entre l’Un Éternel en soi, en tant qu’existant en soi, au-delà de toute relation à la création, et l’Un Éternel en relation à l’humanité et tel qu’il a été perçu et connu à partir des différentes cultures et situations humaines. Ainsi, il considère l’Un Éternel comme un noumène ou le Dieu nouménal : celui-ci ne peut pas être connu. Hick trouve dans les religions des enseignements allant dans ce sens. Dans le christianisme, Maître Eckhart distingue entre la déité et Dieu. Dans le taoïsme, le Tao qui peut être exprimé n’est pas le Tao éternel. Dans la cabale juive, il existe une distinction entre En Soph, la réalité divine absolue qui est au-delà de toute description humaine et le Dieu de la Bible. Chez les Soufis, il existe une distinction entre Al Haqq et Allah. Dans l’hindouisme, il s’agit de la distinction entre nirguna Brahman, l’ultime en soi, au-delà de toutes catégorie, et suguna Brahman, l’Ultime en tant que connu comme divinité personnelle, Isvara. Dans le bouddhisme Mahayana, c’est la distinction entre le dharmakaya, l’éternel cosmique Bouddha-nature, qui est aussi le vide infini (sunyata), et la réalité des figures divines du Bouddha (sambhogakaya) et leurs incarnations dans les Bouddha terrestres, (nirmanakaya)[19]. In fine, le Dieu connu par les humains n’est pas Dieu en soi, an sich, mais le Dieu en relation.
Quant au Dieu phénoménal, il est la perception qu’on a du Dieu nouménale à partir d’une culture et d’une histoire. Ainsi, Dieu peut être nommé Yahvé, Adonaï, Allah, le Père de Jésus, Krishna, Shiva, et bien d’autres noms. Cette perception particulière de l’Un Éternel s’inscrit dans un système religieux qui a ses dogmes, ses rites, sa liturgie, son éthique, etc. Mais cela reste phénoménal, puisque « nous n’avons pas conscience de la réalité divine telle qu’elle est en soi, mais seulement comme expérimentée de nos différents points de vue humains »[20]. « Nous sommes tous des peuples élus, mais choisis de différentes manières et pour des vocations différentes[21]. » Shiva et Yahvé ne sont pas des Dieux rivaux, mais des expressions différentes du divin. Donc toutes les religions adorent la même réalité divine, mais chacune à sa manière.
Hick admet que Kant n’aurait pas été d’accord avec cette manière d’utiliser sa théorie, d’autant plus qu’il traite la question de la religion d’une manière différente, à partir de la raison pratique. Il reconnaît que « Kant lui-même n’aurait pas accepté l’idée que nous pouvons, d’une quelconque manière, faire l’expérience de Dieu, même en tant que phénomène divin en distinction d’un noumène divin »[22]. Dieu est dans la morale pour Kant. Néanmoins Hick s’aventure dans cette interprétation de la philosophie de Kant, interprétation qu’il considère utile pour le pluralisme théologique.
Y a-t-il une meilleure religion ?
Considérer que chaque religion a son expérience propre de Dieu, et qu’elles participent toutes à la vérité pousse à la question qui consiste à savoir s’il en existe une qui est meilleure que l’autre. John Hick répond à cette question à partir de plusieurs propositions :
1- Dans l’histoire de toutes les religions, il y a du bon et du mauvais. Dans le christianisme par exemple, il y a François d’Assise et mère Teresa mais la haine exprimée à l’endroit des juifs pendant de longs siècles. Chaque tradition doit distinguer entre ce qui est bien ou moins bien dans son histoire.
2- C’est à partir de quatre grandes traditions religieuses que Hick poursuit sa réflexion autour de cette question : le christianisme, l’islam, l’hindouisme et le bouddhisme. Chacune de ces religions parle à sa manière du caractère mauvais de l’existence humaine présente. Il s’agit d’une vie de déchéance, vécue en aliénation vis-à-vis de Dieu, ou prisonnière de l’illusion du Maya, ou envahie par le dukkha. Mais ces religions proclament aussi, s’appuyant sur leurs bonnes nouvelles, que l’Ultime, le Vrai, le Véritable, sans lequel notre vie est hors de ses gonds, est la réponse à l’homme.
3- Si chaque chrétien et musulman, chaque hindou et bouddhiste, incarnent pleinement leurs idéaux respectifs, ils vivront dans l’acceptation et l’amour des autres humains : « Un monde qui pratique les idéaux éthiques communs de ces traditions réalisera la fraternité humaine sur terre[23]. » Seulement, cela fut accompli par si peu de gens. L’histoire des sociétés dérivées de ces traditions religieuse regorge de violence, de guerre, d’oppression, d’exploitation, d’esclavage, de malhonnêteté, de cruauté, d’une recherche de pouvoir…
4- Chaque religion a ses vices et ses vertus. Il est possible de considérer qu’un phénomène religieux est meilleur en l’inscrivant dans un espace-temps bien précis, mais il est impossible de dire quelle religion, dans sa totalité est meilleure. « Une grande tradition peut constituer dans certaines périodes de son histoire, et dans certaines régions du monde, et dans certaines de ses branches ou sectes, un meilleur contexte de salut/libération que les autres. Ainsi, il serait de meilleur augure de naître dans une religion bien déterminée durant une période bien précise de l’histoire que dans une autre[24]… »
Conclusion
La réflexion de Hick propose une lecture philosophico-théologique qui considère que la relativité de toute religion qui dépend de sa manière de percevoir Dieu, ne constitue guère une enfreinte à son authenticité. Car chacune a de Dieu une expérience authentique qu’elle effectue à sa manière. La diversité des religions n’est guère un problème dans la logique de Hick, au contraire, elle est nécessaire et ancrée dans la diversité humaine et culturelle. Mis à part l’exclusion de toute théologie prétendant à l’absoluité d’une religion, à quoi mènerait une telle réflexion ?
De prime abord, à la reconnaissance de l’autre dans sa différence religieuse. Il est possible d’appartenir à une autre religion et d’être complètement authentique dans sa foi. La particularité ne déforme pas l’universel, au contraire, elle révèle sa richesse.
Mais aussi, à un œcuménisme mondial, croit Hick, où l’engagement spirituel et la fraternité seraient primordiaux, et les différences des traditions religieuses moins significatives. La relation entre elles pourraient se constituer à l’image des relations tissées entre les différentes dénominations chrétiennes, c’est à dire de plus en plus amicales. Celles-ci se rendent visite librement durant leur culte et commencent même à se partager les mêmes édifices. Pour certaines, il existe même des échanges de ministres[25].
Hick considère que le christianisme a subi durant son histoire d’énormes changements, et que son avenir réside dans ce qu’il deviendra grâce aux interactions et influences mutuelles qu’il aura avec le bouddhisme, l’hindouisme et l’islam. Car si chaque religion reste attachée à sa vision comme étant la seule véritable, aucun dialogue en profondeur ne sera possible, mais uniquement des exposés et des comparaisons de systèmes incompatibles.
Enfin, Hick inscrit son système dans une vision qui englobe toute l’humanité, puisqu’il incite au partage des expériences différentes du divin à travers le dialogue interreligieux et les interactions entre les communautés religieuses. Cela ne se fonde pas sur les conversions (même si elles ne seraient jamais exclues), mais sur l’enrichissement mutuel et la coopération pour faire face au problème urgent de la survie humaine dans un monde et une société justes.
Il n’y a pas de doute que la réflexion de Hick peut être critiqué à plus d’un égard, notamment dans son utilisation de la philosophie de Kant (ce qu’il admit) et dans sa relativisation des religion, bien provocante pour bien des sensibilités. Mais il n’y a pas de doute qu’il pose l’une des questions les plus fondamentales en théologie et en philosophie, celle de l’autre, de son authenticité et de la légitimité naturelle de sa différence.
Antoine Fleyfel
Université catholique de Lille
II = John Hick, Problems of religious pluralism, Macmillan, London, 1994
I = John Hick, God has many names, Westminster Press, Philadelphie, 1982
[1] Il est à noter que Hick rédigea une autobiographie dont l’une des raisons était d’expliquer son cheminement intellectuel : John Hick, An autobiography, Oneworld, Oxford, 2005.
[2] La confession de foi de Westminster est une confession de foi calviniste. Établie par l’assemblée de Westminster en 1646 et largement approuvée par l’Église d’Angleterre, elle est le fondement doctrinal de l’Église d’Écosse et exerce une influence prépondérante sur les Églises presbytériennes à travers le monde.
[3] John Hick, God has many names, Westminster Press, Philadelphie, 1982, p. 18.
[4] John Hick, Problems of religious pluralism, Macmillan, London, 1994, p. 11.
[5] Ibid., p. 13.
[6] John Hick, God has many names, op. cit., p. 41.
[7] Cité in John Hick, Problems of religious pluralism, op. cit., p. 51.
[8] Cf., Ibid., p. 53.
[9] Cf., John Hick, God has many names, op. cit., p. 18.
[10] John Hick, Problems of religious pluralism, op. cit., p. 71.
[11] Cf., John Hick, God has many names, op. cit., p. 19.
[12] Ibid., p. 74.
[13] John Hick, Problems of religious pluralism, op. cit., p. 47.
[14] Ibid., p. 50.
[15] John Hick, God has many names, op. cit., p. 72.
[16] Summa theologica, II/II, Q. 1, art. 2
[17] John Hick, God has many names, op. cit., p. 25.
[18] Ibid., p. 52.
[19] Cf., John Hick, Problems of religious pluralism, op. cit., p. 40.
[20] John Hick, God has many names, op. cit., p. 67.
[21] John Hick, Problems of religious pluralism, op. cit., p. 57.
[22] John Hick, God has many names, op. cit., p. 104.
[23] John Hick, Problems of religious pluralism, op. cit., p. 83.
[24] Ibid., p. 87.
[25] Cf., Ibid., p. 77.
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