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Pèlerinage spinoziste, 04.01.2008

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Il y’a presque deux ans, mon manque d’informations précises sur la sépulture de Spinoza m’avait mené à Amsterdam, là où je n’ai même pas pu trouver la maison où il est né (maison qui a disparu, et qui se situait au niveau du « marché aux puces » actuel). À mon retour de ce premier voyage dans cette belle ville où il fait bon vivre, je me suis bien renseigné, et j’ai attendu le moment opportun afin de mener en bonne et due forme le pèlerinage spinoziste que je comptais effectuer avant la soutenance de ma thèse.

La période est celle du Réveillon 2008, et le chemin menant de Paris à Den Haag passe par Aachen, Köln, Antwerpen et Rotterdam. Ce ne sont pas les gloires de Charlemagne ou l’impressionnante cathédrale colonaise, ni même l’éclat des diamants ou les croisements du port et du pont qui vont se mesurer à la puissance de l’humble sépulture située au dos d’une église, et presque ignorée dans son Eden…

Spinoza meurt jeune en 1677, et sa philosophie lui avait valu beaucoup d’ennemis. En plus de la synagogue juive qui l’avait excommunié en 1657, il était considéré impie par les chrétiens (surtout les calvinistes) et était rejeté par les cartésiens. Cet homme libre qui a fréquenté les milieux les plus libéraux, et qui a trouvé autour de lui un cercle d’amis fidèles, est mort dans une presque exclusion. Personne n’a voulu de la sépulture de celui qui est considéré par l’opinion publique comme païen et anti-religieux, et c’est dans le jardin d’une église protestante qu’il a été enseveli, la « Nieuwe Kerk » à Den Haag.

D’aucun pourrait s’étonner que la majorité des habitants de cette belle ville connaissent bien ses centres commerciaux et ses restaurants, mais ignorent l’existence de la sépulture du grand philosophe dans leur ville ; piètre image du vrai de ce monde…

J’étais pressé d’arriver à cette église qui n’était pas difficile à trouver, et ma joie était presque à son paroxysme lorsque j’ai aperçu ce temple protestant dont l’architecture oscille entre celle de la renaissance et du romantisme. Après une très brève halte qui m’a permis de lire à son entrée les inscriptions bibliques en néerlandais, je me précipite à l’arrière du bâtiment, et une puissante émotion ne tarde pas à s’emparer de ma raison et de mes larmes, lorsque la sépulture du grand maître se présente à ma vision.

L’éternité s’est emparée des mes instants, et je me suis trouvé immobile au sein d’un moment qui ne coule qu’en transcendant l’espace et le temps. L’humble sépulture était encore plus belle que ce que j’imaginais, Spinoza était au rendez-vous…

Mon existence était intense durant cette rencontre, qui est loin d’être la première, mais qui est exclusive en ce qu’elle porte de symbolique et d’humain. J’ai dit beaucoup de choses au philosophe, comme s’il était présent devant moi. J’ai causé de Dieu (en qui il existe comme il l’a bien pensé) et de l’homme, de la sagesse et de la politique, des passions et de la béatitude. Et dans un esprit de recueillement presque religieux, j’ai remercié le grand maître d’avoir été mon guide en philosophie, de m’avoir appris à penser, et de m’avoir montré la voie de la puissance de l’Intellect… Si Spinoza est incontournable pour l’histoire de la philosophie, il l’est aussi pour moi d’une manière personnelle. La présence de sa pensée renforce la vocation et la responsabilité du philosophe… et combien notre monde actuel a besoin de philosophes vertueux tel Baruch Spinoza.

Après d’ultimes paroles affectives prononcées à l’écoute de l’éternité de Dieu, je dépose un bouquet de fleur, témoin de ma gratitude, de mon hommage, de mon respect et de ma profonde affection.

Ce pèlerinage philosophique qui contourne légèrement la raison, mais qui participe à la Nature par ses affects, n’est qu’un moment esthétique, qui s’inscrit dans une réflexion vivante qui dépasse tout lieu et tout temps, et qui dépasse même les personnes les plus grandes en rejoignant l’infinité, et en se concrétisant par la tentative de la concrétisation de la béatitude de l’homme dans des cités de paix et de libre pensée. Là est la responsabilité du philosophe, et là est le mérite de Spinoza qui ne cesse d’interpeller et de responsabiliser à ce niveau.

Maître, merci !
Antoine Fleyfel
04.01.2008

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