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Du cadre intellectuel : ma pipe, 05.11.2007

Publié sur le site Fumeur de pipe

artcadreintellect

Penser requiert toujours un cadre nécessaire pour l’épanouissement de l’intelligence qui peut difficilement s’échapper des conditions d’existence imposées par la corporéité. Sans en faire une “insoutenable légèreté” ni “une prison de l’âme”, étant à l’aise et se voyant provoquer par un plaisir subtil, le corps réagit parfois des manières les plus surprenantes et les plus fructueuses, au niveau de son muscle le plus complexe qu’est le cerveau.

Tous les philosophes, les théologiens, les penseurs ou les artistes n’ont pas eu la chance d’avoir un cadre idéal de pensée. Que de prisons ont été les témoins de la naissance de puissantes et profondes pensées qui ont parfois façonné l’histoire de l’humanité. Le corps, aidé par une puissante volonté réagit dans ce cas, d’une attitude d’autodéfense se manifestant par une affirmation de soi, signe d’une pulsion de vie refusant la disparition.

Même si j’ai connu des moments d’adversité qui ont poussé ma créativité artistique et poétique à son apogée, j’ai eu l’heur de me trouver des cadres agréables, permettant son épanouissement à ma raison. Et pour souligner la continuité historique de l’élément essentiel de ce cadre, je profitais de mes pauses de travail pour regarder, voire même communiquer avec les trois personnes dont les portraits étaient accrochés au dessus de mon bureau.

Spinoza, mon sage et mon saint : je l’imaginais à la suite de ma lecture de sa biographie, en train de préparer sa pipe et de la fumer, l’après-midi, tout en observant une lutte d’araignées… Bach, mon coup de foudre musical et mon inspirateur : combien ma joie était grande lorsque j’avais appris qu’il fumait la pipe, et qu’il avait même composé la musique d’un poème ayant comme titre “So oft ich meine Tobacks-Pfeife”. Et Bultmann, ce théologien qui m’a tellement fasciné, et qui n’a toujours pas fini de provoquer en moi des tempêtes. Sa photo était là devant moi, pipe à la main.

L’un de mes cadres de travail intellectuel premier était centré autour de la pipe. Il ne s’agissait pas tout simplement de singer les grands de l’histoire, bien que je n’y vois aucun mal, mais davantage, le rituel presque liturgique de la préparation de ma pipe est comme un Introït qui m’initie à un monde où le souffle traverse comme au travers d’un instrument chantant une hymne cosmique, et la fumée s’élève comme de l’encens, odeur délicieuse à la gloire de l’Idée. Toutes les pipes ne se ressemblent pas, et toutes ne correspondent pas à tous les moments. Il y en a pour la pluie et il y en a pour le beau temps. Il y en pour les problèmes difficiles à résoudre, et il y en a pour les lectures ayant la détente comme but. Et encore, le jeu ne se complète que par un choix adéquat de tabac. Un jour ensoleillé tolère difficilement un tabac rude, et un jour d’été nécessite quelques arômes fruités pour décorer l’Arbre de vie. Alors que les moments de froid et de tempêtes (idéaux pour la pensée) imposent un tabac sur, amer et puissant, comme les passions de ceux qui ne traversent l’histoire qu’en la changeant.

Si cette pipe est l’instrument du chant cosmique, son rythme danse sur les pas de la musique dite classique. Celle-ci est de même tributaire du sujet à aborder. Un écriture poétique s’enfante volontiers par un piano jouant les Etudes de Chopin, alors qu’un sobre texte philosophique prend bien vie en étant pénétré par les “Picture at an exhibition” de Mussorgsy. De même qu’en théologie, rien de tel que les “Passions” de Bach ou le “Requiem” de Mozart pour marier la mélodie avec la fumée.

Les problèmes les moins ardus seront traités durant la journée. Et si la lumière est de la vie créant, c’est la nuit que les sujets qui nécessitent un enfantement devraient être abordés. La nuit de l’esprit n’est qu’un moment de délicieuse attente qui prépare la venue de la contemplation. Cette nuit intellectuelle se décore volontiers par des bougies, élégantes et bien disposées dans un salle qui, à la mesure du possible, reflète une architecture parfaire frôlant la perfection des idées.

Et à l’ivresse de la Vérité rationnelle recherchée, s’ajoute la touche d’un bon alcool, arrosant le muscle à tendance bien vicieuse, porte parole et organe de communication. Rien de tel qu’un bon armagnac, sec et fort, qui vieilli dans les fût de chênes, préfigure la maturation des idées et leur aboutissement au bout de longues années de labeur.

En bref, un pipe, un morceau de musique classique, une ambiance chaleureuse par sa sobriété et un livre d’idées arrosé par l’alcool, rien de tel pour s’oublier dans le monde de la pensée, là où l’absolu prend une forme intellectuelle et s’incarne dans la Pensée. Là où le chemin vers l’éternité est l’un des plus puissants possibles, buttant vers une connaissance du tout, qui découle sur un interminable travail sur soi.

Antoine Fleyfel
05.11.2007

05.11.2007

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