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Chrétiens d’Orient : les défendre est un humanisme, Le Point, 14.04.2017

Chrétiens d’Orient : les défendre est un humanisme

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Entre ceux qui ne les défendent pas et les adeptes de la récupération, les chrétiens d’Orient, eux, veulent juste vivre en paix, dans leurs pays.

Après l’émotion, le sang et les larmes, que reste-t-il ? La question des chrétiens en Orient, comme il conviendrait de le dire à la manière de feu Boutros Boutros-Ghali, n’est pas seulement confessionnelle. Loin de la politique, de la violence et de la discrimination, il s’agit de très anciennes traditions religieuses qui se fondent dans le tronc commun de nos origines, de nos civilisations. Pas plus, mais pas moins.
Une vision exotique et vendeuse

La compassion ne vaut pas ignorance. La défense de leur cause est donc un humanisme, un travail constant de réflexion à une échelle plus globale. Nous ne défendons pas les chrétiens parce que nous sommes chrétiens, mais parce que nous sommes humanistes, héritiers des Lumières. Les communautés religieuses ont besoin de vivre ensemble pour dépasser leurs essentialismes réciproques. Ne tombons pas dans ce piège. Un effort de sortie de ce modèle mortifère est plus que jamais nécessaire. « Il serait catastrophique pour les chrétiens de vouloir les découpler de leur environnement, donc des musulmans au milieu desquels ils vivent », explique Frédéric Pichon, l’auteur d’une thèse sur le village de Maaloula en Syrie. « Le traitement de la question par certains médias bien intentionnés ne fait qu’ajouter, continue-t-il, de la confusion à leur propre positionnement identitaire au sein d’un Moyen-Orient en pleine fièvre aiguë d’islamisme. Ainsi, les présenter comme « descendants directs des premiers chrétiens, qui parlent la langue du Christ » est certes très exotique et très vendeur, mais c’est passer sur le fait que dans leur immense majorité, ils sont arabophones, utilisent la langue arabe dans leur liturgie, et qu’ils n’ont eu de cesse d’illustrer la culture arabe. »

Depuis plusieurs années, un phénomène migratoire massif des chrétiens touche tous les pays, à commencer par l’Irak – de manière systématique depuis mars 2003 –, la Syrie, l’Égypte aussi, depuis la répression par l’armée de leurs manifestations en octobre 2011. « On pousse les communautés chrétiennes d’Orient à partir, et c’est là que se situe le véritable danger. Un Orient sans chrétienté, c’est un Orient sans âme. Par ailleurs, il faut tenir compte du passé pour se projeter dans l’avenir. Après Daech, le danger sera encore présent », explique depuis Bruxelles Naher Arslan, représentant de la Confédération assyrienne d’Europe auprès des institutions européennes. Dans certaines régions, la question de la confiance avec les musulmans a été rompue : « L’exemple de Mossoul est assez parlant, continue-t-il, certains voisins musulmans de maisons chrétiennes n’ayant pas hésité à dénoncer des voisins de longue date lors de la prise de la ville. En Turquie, l’image du chrétien traître à la nation est toujours véhiculée dans certains milieux, y compris dans la diaspora turque d’Europe, peut-être même plus qu’ailleurs. »
Gare à la récupération

Au fond, beaucoup idéalisent un passé de paix et de prospérité entre les communautés. Mais l’histoire montre que les choses sont plus complexes. « Depuis probablement les Croisades, continue-t-il, l’image du chrétien est associée à l’Occidental venu casser du musulman ». Les chrétiens d’Orient souffrent de cette association. La diaspora forme maintenant un nouveau continent du christianisme oriental, un continent éparpillé mais bien vivant qui agit contre la dilution culturelle et pour pérenniser l’usage de leurs langues.

Directeur général de l’Œuvre d’Orient, Mgr Pascal Gollnisch ne cesse de mettre en garde contre la récupération de leur cause « à des fins de politique intérieure française » et insiste au contraire sur les besoins immenses en termes d’éducation, toujours en collaboration avec les autorités locales : « Nous soutenons des projets qui bénéficient à des chrétiens, sunnites, chiites, yézidis comme les étudiants réfugiés à Kirkuk. Ils apprennent ainsi à se connaître, c’était la première fois pour la plupart qu’ils rencontraient des jeunes issus d’une autre religion. » Pour Antoine Fleyfel, professeur de philosophie et de théologie à l’université catholique de Lille : « Les chrétiens en général entretiennent de bonnes relations avec les musulmans. Les images de la mosquée accueillant les blessés des attentats récents en Égypte en sont un exemple parmi tant d’autres. Au Liban, en Palestine, en Israël, en Jordanie, en Syrie et même en Irak, des chrétiens et des musulmans agissent ensemble sur plusieurs plans : académiques, sociaux, civiques et humanitaires. La relation quotidienne peut être plus que normale. »

Les chrétiens veulent vivre en paix, dans leurs pays, avec leurs partenaires des autres religions, dans le cadre de régimes laïcs contextuels : « Ceux-ci sont les seuls garants d’une véritable citoyenneté, des droits de l’homme, de la liberté de conscience ou de l’égalité de tous. Ils veulent bâtir avec leurs concitoyens leurs patries et en faire des phares pour reprendre le chemin de l’évolution du monde arabe, en finir avec les fanatismes religieux, musulmans, juifs et chrétiens, en finir avec toute forme de théocratie et de théologie politique – dans le sens classique du terme –, de confessionnalisme, de communautarisme, de suivisme et d’instrumentalisation. » Au fond, il apparaît que parler des chrétiens d’Orient comme s’il s’agissait d’un seul groupe partageant une réalité unique de vie n’a plus beaucoup de sens.

Sébastien de Courtois
14.04.2017

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