Antoine Fleyfel interviewé par Pèlerin magazine, le 12.09.2013
Propos recueillis par Sophie Laurant
-Quel est l’état d’esprit des chrétiens syriens ?
– Comme tous les civils, ils subissent au quotidien les dures conséquences de la guerre. Et ils redoutent une prise de pouvoir par les extrémistes sunnites, de plus en plus actifs au sein des forces rebelles. Alors, même s’ils n’apprécient pas particulièrement le régime de Bachar el Assad, entre deux maux, les chrétiens ont tendance à choisir le moindre.
Rappelons aussi qu’au début du XXe siècle, l’un des leurs, Michel Aflak, a été à la source de la création du parti Baas dont se réclame toujours le président actuel. Ils étaient fiers de cet idéal laïc qui proclamait le nationalisme arabe tout en affirmant la coexistence pacifique des religions. Or, la rébellion n’a jamais rassuré les chrétiens d’une manière significative sur le maintien de ces valeurs. Bien au contraire, même ceux qui étaient favorables à la révolution au début, voient désormais, sur le terrain, des groupes armés brûler des églises et enlever des prêtres… Comment ne trouveraient-ils pas là confirmation de leurs pires craintes ?
-Pourquoi sont-ils contre une intervention des Américains et des Français?
-D’abord parce que ces frappes ne peuvent qu’aggraver les souffrances des populations. Et pour beaucoup d’entre eux, cela revient à soutenir les bandes armées islamistes dans leur combat contre les zones encore relativement sécurisées, par exemple, autour de Damas et dans ce qu’on appelle « la vallée des chrétiens », le wadi el Nassara, à l’Ouest du pays. En outre, ces menaces ravivent une vieille méfiance envers l’Occident. Celui-ci a souvent été perçu politiquement comme une puissance agressive depuis la quatrième croisade qui, en 1204, a pillé Constantinople, capitale chrétienne de l’Orient.
Plus près de nous, l’Amérique et l’Europe sont accusés d’être responsables des malheurs des Palestiniens et, depuis 2003, d’avoir occupé l’Irak sous de mauvais prétextes, de laisser ce pays se désagréger. Les Syriens chrétiens se rappellent très bien les flots de leurs coreligionnaires irakiens fuyant leur pays après sa soi-disant « libération ».
-Sont-ils nombreux à fuir le pays ?
Il est impossible de dire si parmi les 6,2 millions de déplacés (dont 2 millions sont réfugiés à l’étranger) les chrétiens sont surreprésentés. Ils constituaient, avant le conflit, entre 5et 7% de la population. Grâce à leurs fréquents liens familiaux au Liban et à leurs moyens financiers un peu supérieurs à la moyenne, ceux qui partent réussissent souvent à éviter les camps de réfugiés, où s’entassent les plus pauvres. Mais je crains que la violence ne s’aggrave encore dans les mois qui viennent et pousse à l’exil encore davantage de familles.
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