Le « tsunami iraquien » au Liban. Entretien avec Michel Kassarji, évêque chaldéen de Beyrouth
Les chrétiens d’Irak y émigrent dans des conditions misérables en attendant l’obtention d’un visa qui achève leur fuite vers les États-Unis, le Canada ou l’Australie.
Loin de prendre fin avec leur exode des terres de leurs ancêtres, les douleurs des chrétiens d’Iraq prennent souvent des formes diverses avant l’achèvement du périple les déchirant de leur terre d’origine. Le Liban fait partie des États tremplin que les chrétiens d’Iraq visitent pendant quelques temps en attendant l’obtention d’un visa qui achève leur fuite vers les États-Unis, le Canada ou l’Australie. Michel Kassarji, évêque chaldéen de Beyrouth que nous avons rencontré à Paris, nous parle de la situation difficile des réfugiés chrétiens iraquiens au Liban et du rôle central que joue l’Église pour les soutenir.
– Combien de réfugiés iraquiens chrétiens existe-t-il au Liban ?
Il y a un tsunami iraquien au Liban ! Les réfugiés ont commencé à arriver en 1990 suite aux différentes guerres du Golfe, mais c’est surtout après la fin du régime de Saddam Hussein que leur exode s’est fortement accéléré. Le plus grand nombre des réfugiés chrétiens iraquiens sont chaldéens, ce qui est représentatif de leur pourcentage en Iraq où 90% des chrétiens sont chaldéens. Pour ne donner qu’un exemple : on dénombre 30 églises chaldéennes à Bagdad pour seulement 2 syriaque-catholiques. Il existe actuellement 1500 familles chaldéennes (12 000 personnes) au Liban et 75 familles syriaques – catholiques. Notre évêché a la responsabilité des familles chaldéennes.
– Quelle est leur situation humanitaire ?
La situation humanitaire de ces réfugiés est difficile, voire alarmante parfois. Lorsqu’ils arrivent au Liban, ils sont complètement délaissés, et ne peuvent pas accéder convenablement aux écoles ou aux soins médicaux, surtout que certains arrivent gravement malades. Ils vivent dans de très petits espaces, une ou deux chambres qu’ils doivent louer cher, pour y loger à dix ou douze. L’État libanais ne les aide en rien. À cela s’ajoute leur peur de se déplacer à cause de l’illégalité de leur situation puisqu’ils n’ont pas de cartes de séjour. Il y a quelques temps, 450 chaldéens étaient en prison parce qu’ils n’avaient pas de permis de séjour. Normalement, à leur arrivée au Liban, ils obtiennent un visa d’un mois à l’aéroport, renouvelable 3 fois. Mais après cela, ils se retrouvent sans papiers à cause des conditions d’obtention d’un permis de séjour, impossibles pour presque tous les réfugiés. En outre, cela n’est pas le cas en Syrie ou en Jordanie où les conditions sont complètement différentes, puisque ces deux États les prennent en charge. Au Liban, la plus grosse responsabilité repose sur l’évêché.
– En quoi consiste cette responsabilité ?
De prime abord, en tant qu’évêché, nous avons un rôle spirituel à assurer. Le grand nombre des réfugiés a rendu nos locaux insuffisants, c’est pour cela que deux communautés ont mis à notre dispositions leurs églises (les assyriens et les grec-catholiques). Cependant, loin de nous limiter au spirituel, nous assumons beaucoup de rôles humanitaires. Chaque mercredi et vendredi, l’évêché accueille les nouveaux réfugiés en leur créant des dossiers et en leur donnant des aides matérielles et des papiers de reconnaissance. Après cela, il faut les aider à trouver du travail, ce qui n’est pas facile, surtout qu’ils « travaillent au noir ». Cependant, le résultat est largement satisfaisant, puisqu’en attendant leur visa pour l’Occident, 90% de ces réfugiés trouvent un travail temporaire. Quant à la scolarisation d’enfants, l’évêché prend en charge plus de 150 élèves chaldéens. De plus, nous distribuons des aides alimentaires. Pour Pâques 2011, nous leur en avons distribué sous forme de cartons contenant 22 genres d’aliments. Il nous a fallu 120 000 $ pour financer ce projet. Cependant, ces aides sont difficiles à réaliser parce que l’évêché est pauvre et sans revenus, ce qui implique une recherche continuelle de sources de financement. L’Œuvre d’Orient nous aide tous les ans, et de manière ininterrompue. Localement, certains diocèses des différentes Églises catholiques et orthodoxes, apportent de même leur soutien financier. Trouver des fonds est capital pour nous, surtout que le projet d’édification d’un centre médico-social dont bénéficieraient surtout les chrétiens d’Irak est en cours.
– De quel centre parlez-vous ?
Les problèmes de santé vécus par certains réfugiés iraquiens et les complications qu’ils doivent affronter pour accéder au traitement sont à la source de l’idée de ce centre. Le « Centre médico-social Saint Michel », fondé par l’Église chaldéenne au Liban selon les normes internationales des centres de santé, a été inauguré en 2011. Le but de ce projet est d’aider nos frères démunis, surtout les Iraquiens réfugiés au Liban. Effectivement ce centre est ouvert à tout le monde, mais ces derniers ont de larges privilèges et leurs consultations se font à très bas prix. Par exemple, l’échographie qui coûte 100 $ normalement leur coûterait 10 $ chez nous. Le centre, toujours en construction, fonctionne actuellement de manière partielle, et accueille tous les jours presque 20 personnes. Les services médicaux qu’il assure concernent la cardiologie, la pédiatrie, les maladies digestives, l’endocrinologie, la dermatologie, l’urologie, la gynécologie, l’ophtalmologie, l’électrocardiographie, l’échographie, la physiothérapie et bien d’autres domaines. Cependant, il manque toujours des fonds pour qu’il soit complètement fonctionnel, notamment pour acheter du matériel médical nécessaire. Jusqu’au 7 août 2011, date de l’inauguration du centre, la valeur des contributions et des donations avait atteint les 1 120 000 $, et le montant restant pour compléter le projet s’élève à 680 000 $ qu’il faut trouver d’urgence. Cela est le but actuel de mon voyage en France, lever des fonds servant à l’urgence humanitaire des réfugiés iraquiens au Liban.
– Quels sont les horizons d’avenir des chrétiens d’Iraq ?
Je ne partage pas l’optimisme de certains évêques iraquiens. À mon avis, d’ici 25 ans, la situation des chrétiens d’Iraq sera semblable à celle actuelle des chrétiens de Turquie ou de la Terre Sainte, parce que les conditions de vie actuelles des chrétiens iraquiens ne permettent pas une présence durable, surtout avec l’absence d’une vision et d’une stratégie d’avenir. On a l’impression que dès qu’un chrétien naît, son but ultime est d’obtenir un passeport afin d’émigrer. La politique occidentale est partiellement responsable de cet état d’esprit, puisqu’elle encourage l’émigration, du moment qu’il faut penser à une stratégie pour rester. Dans le temps, il a été question d’acheter un grand bout de terrain au Liban pour que 3000 à 4000 familles iraquiennes chrétiennes puissent y habiter et travailler (écoles, usines, commerces). Mais les volontés politiques et ecclésiales n’ont pas convergé, et le but ultime des réfugiés iraquiens au Liban est resté d’émigrer aux États-Unis, au Canada ou en Australie. Ainsi, le périple des réfugiés iraquiens au Liban va durer probablement 25 ans, le temps que tous les chrétiens d’Iraq émigrent. Chaque vague de réfugiés reste en général entre 1 et 2 ans au Liban.
– Mais qu’en est-il de la situation actuelle des chrétiens en Iraq, et est-ce qu’il y a vraiment une volonté de les exterminer ?
Des 1 400 000 chrétiens qui vivaient en Iraq, dans de bonnes conditions, sous le règne de Saddam Hussein, il reste actuellement 400 000. Quelques 100 000 vivent à Bagdad et le reste est surtout au Kurdistan. Mais la situation est différente selon les régions. À Bagdad par exemple, sur 30 églises chaldéennes, seulement 10 fonctionnent. Les autres sont désaffectées ou n’ont plus de prêtre, et parfois on n’ose tout simplement plus les ouvrir. Cependant, au Kurdistan où les chrétiens immigrent beaucoup, la situation est stable, mais je crois que c’est temporaire. Par ailleurs, il ne me semble pas qu’une volonté générale d’une extermination des chrétiens d’Iraq existe. Ce sont plutôt de petites cellules fondamentalistes qui profitent de la situation instable pour commettre des attentats.
En plus, le conflit entre sunnites et chiites en Iraq provoque une déstabilisation fortement défavorable aux chrétiens qui n’ont ni programme politique ni armes.
Antoine Feyfel
L’Œuvre d’Orient
08.12.2011
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