Lors de la conférence de presse organisée par l’Œuvre d’Orient et la CEF à l’occasion sa visite en France, les propos tenus par le patriarche maronite Bechara Raï ont suscité une importante polémique au Liban et des réactions contrastées tant en France qu’aux États-Unis. Son discours concernant la Syrie et le Hezbollah, remis dans son contexte, prend un tout autre sens que celui donné par les journalistes libanais accompagnant la délégation.
Antoine Fleyfel, libanais, Docteur en Théologie (Strasbourg) et en Philosophie (Paris 1 – Sorbonne) a assisté à cette conférence de presse le mercredi 7 septembre 2011 pour l’Œuvre d’Orient. Il nous résume, sans parti pris, ce que le patriarche a vraiment dit.
La visite du patriarche maronite Bechara Raï s’inscrit dans le cadre d’une ancienne tradition, consistant en ce que le président français adresse au prélat nouvellement élu une invitation officielle pour visiter la France. Cette visite met en exergue des rapports d’amitié historiques, véhicules de la francophonie au Liban qui partage avec la France des valeurs communes, comme la liberté, les droits de l’homme, la démocratie, la pluralité et l’ouverture.
Les chrétiens au Liban et au Moyen-Orient
Le patriarche a exposé la situation des chrétiens au Liban, où la communauté maronite, qui a eu une contribution significative pour la renaissance du monde arabe, joue un rôle politique important. Celui-ci dérive de la nature de la République libanaise, fondée sur un pacte oral établi entre les chrétiens et les musulmans, qui partagent le pouvoir politique à égalité, dans le cadre d’un État civil respectueux du pluralisme religieux. Cela fait exception parmi les pays du Moyen-Orient, gouvernés par des régimes théocratiques ou totalitaires.
« La guerre a été dépassée au Liban, dit le patriarche, les blessures ont été pansées. Il n’y a plus de problèmes de convivialité entre les chrétiens et les musulmans. Nous sommes en train de reconstruire notre pays ensemble ! ». Cependant, c’est au niveau politique que les choses se compliquent, puisque le « problème actuel, lié aux conjonctures régionales et internationales, se résume au Liban par un conflit entre musulmans chiites et sunnites. Par conséquent, nous vivons une crise politique au niveau du gouvernement, à cause des deux forces qui cherchent chacune à paralyser l’autre, et nous payons le prix… parce que cela crée aussi des divisions entre les chrétiens, à cause des options qu’ils ont prises en s’alliant aux sunnites ou aux chiites ».
L’Église maronite joue un rôle pour apaiser cette tension intra-chrétienne et intra-libanaise. Mgr Raï évoque les réunions mensuelles qu’il organise avec les responsables de deux camps chrétiens en vue de leur rapprochement et de la résolution de leurs problèmes communs, comme les ventes de terrain, l’absence des chrétiens de certains postes de la fonction publique, la loi électorale, etc. Par ailleurs, suite au souhait des musulmans, un sommet des responsables religieux musulmans et chrétiens s’est tenu au siège du patriarcat maronite au mois de mai. L’organisation d’un sommet islamo-chrétien moyen-oriental, qui déboucherait sur une déclaration commune de convivialité, est en cours. Cela devrait avoir des conséquences bénéfiques pour la convivialité islamo-chrétienne au Moyen-Orient, surtout en Égypte et en Iraq.
Par ailleurs, le patriarche a rappelé que les chrétiens moyen-orientaux contribuent au développement de leurs pays, mais subissent cependant des régimes théocratiques. Cela est la source du problème des chrétiens dans les pays du monde arabe, où ils sont réduits à être des citoyens de « second degré ». C’est pour cela qu’ils conçoivent le Liban comme leur espérance, parce que sa formule de convivialité constitue un espoir d’avenir.
Le printemps arabe
Les injustices au monde arabe mènent aux réclamations justes des peuples qui veulent vivre dignement : « Nous sommes avec toutes les réformes, dit le patriarche, mais nous avons exprimé nos craintes aux hautes autorités françaises », et elles sont au nombre de trois.
1. La crainte de remplacer des régimes actuels par d’autres plus durs et intégristes.
2. La crainte d’aller vers des guerres civiles de type confessionnel comme en Iraq.
3. La crainte du « fameux projet du nouveau Moyen-Orient » qui mènerait à la partition, voire à l’effritement des pays arabes en petits États confessionnels.
Concernant la Syrie, Mgr Raï rappelle les principes et les constantes de l’Église qui respecte les droits des peuples et leur liberté, qui condamne la violence et la guerre, et qui ne prend pas position en soutenant un régime ni en s’y opposant. Cependant, « nous ne nous soucions pas seulement des peuples des pays voisins… mais aussi de nos chrétiens parce que nous payons toujours le prix ». C’est dans ce cadre que le patriarche déclare : « Nous avons enduré le régime Syrien au Liban, je ne l’oublie pas. Mais M. Assad a commencé une série de réformes politiques. Il fallait lui donner plus de chances pour soutenir les réformes internes, et surtout pour éviter la violence ».
Le Hezbollah et l’appui de la France
« Le Hezbollah pose un problème à cause de ses armes qu’il dit porter pour défendre sa terre ». Pour résoudre ce problème, le patriarche maronite demande de l’aide à la France, afin d’invalider les trois arguments utilisés par le Parti de Dieu pour justifier la présence de ses armes, à savoir : a) l’occupation d’Israël d’un bout de territoire du sud libanais, b) le problème des réfugiés palestiniens armés au Liban, c) et les faibles capacités militaires de l’armée libanaise qui serait incapable de protéger le territoire national. En appliquant les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies a) sur le retrait entier d’Israël du Liban, b) sur le retour des réfugiés palestiniens, c) et en armant convenablement l’armée libanaise, Mgr Raï considère qu’on éliminera les causes pour lesquelles le Hezbollah justifie le maintien de ses armes.
Enfin, Sa Béatitude Béchara Raï rappelle que le Synode des évêques pour le Moyen-Orient est un acte prophétique qui donne un élan et une poussée aux chrétiens d’Orient. Il promet de poursuivre son activité dans le sens de cet élan, en agissant sur un plan pastoral, avec les responsables politiques de la région et avec la communauté internationale.
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