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Recension du livre de Joseph et Claire Yacoub, Oubliés de tous, les assyro-chaldéens du Caucase, Cerf, Paris, 2015.

Recension du livre de Joseph et Claire Yacoub, Oubliés de tous, les assyro-chaldéens du Caucase, Cerf, Paris, 2015, in Proche-Orient Chrétien, t. 66, 2016, fasc. 1/2.

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Très peu de personnes ont fait œuvre, comme Joseph Yacoub, pour parler des assyro-chaldéens et du génocide qu’ils subirent au XXe siècle. Son ouvrage, Oubliés de tous, les assyro-chaldéens du Caucase, ayant obtenu le Prix académique 2016 de l’Œuvre d’Orient, apporte une double surprise au lecteur. Primo, il informe d’une réalité insoupçonnée, celle de la présence de communautés assyro-chaldéennes dans le Caucase, et ce dès le XVIIIe siècle et le XIXe qui témoigna de leur migration en suivant « les pas des Russes, lesquels trouvaient en eux des auxiliaires potentiels et des supplétifs à leur politique. » Secundo, ce livre, il le rédigea à quatre mains, avec son épouse Claire, fait qui rajoute à cette étude une grâce particulière que le lecteur connaissant la littérature de Joseph Yacoub peut percevoir.

De bonne facture, cette étude de plus de 250 pages expose bien des éléments historiques nécessaires pour la compréhension des raisons de la migration de communautés, principalement présentes en Turquie, mais aussi en territoire perse. Pour ce faire, les auteurs rappellent l’expansionnisme russe qui remonte à Pierre le Grand au début du XVIIIe siècle et qui mena à la conquête du Caucase, ouvrant la voie vers Constantinople et la Méditerranée. De plus en plus en difficulté dans l’environnement turco-persan, des assyro-chaldéens trouvèrent refuge dans, ou furent déportés vers l’empire chrétien orthodoxe. D’où l’affirmation que « sans la Russie, point d’assyro-chaldéens au Caucase ». En outre, la Russie ne fut pas le seul endroit vers lequel ils se dirigèrent ; Tiflis/Tbilissi, la Géorgie et l’Arménie furent de même des terres d’élection.

Cette migration reposait sur plusieurs facteurs dont trois attirent notre attention : la situation économique qui se traduisit par une pauvreté insoutenable, la persécution par les Ottomans de plus en plus hostiles aux communautés chrétiennes et la situation politique qui évoluait au rythme des guerres de la Russie avec ses voisins. Ces vicissitudes historiques éclairent les conditions du génocide de 1915 qui eut lieu, entre autres, dans le cadre d’affrontements militaires entre les deux empires, ottoman et russe. Le premier vit d’un très mauvais œil ses chrétiens orthodoxes que les Russes déclarèrent sous leur protection.

Dans sa reconstitution de l’histoire des communautés se déplaçant vers le Caucase, l’étude évoque les conversions à l’orthodoxie, et souligne le fait que ceux qui restèrent sur l’ancien territoire ottoman ne cueillirent pas les fruits de la victoire des Alliés vainqueurs. Perçus comme les vassaux des Occidentaux qui s’appuyèrent sur les communautés catholiques pour dépecer l’empire ottoman, ils n’obtinrent aucune reconnaissance et vécurent dans une situation minoritaire au sein des États nouvellement créés, à savoir l’Irak, La Syrie et la Jordanie. Par ailleurs, la venue du communisme soviétique ne leur fut guère clémente : les assyro-chaldéens du Caucase durent subir le joug stalinien et la répression religieuse. De plus, l’avènement du nazisme par la suite n’arrangea nullement les choses. Néanmoins, ils vécurent dans l’ombre jusqu’à l’implosion de l’URSS, en 1989, date qui témoigna de leur renaissance. Ainsi, leur vie se réorganisa autour de l’action sociale, de la liturgie, de l’éducation, de la vie intellectuelle et artistique ; et les liens avec les Églises assyrienne et chaldéenne furent rétablis. Une conscience renouvelée émergea au sein des communautés, celle de leur unité fondée sur la langue, la culture particulière et la foi religieuse.

En dépit de la cruauté de leur histoire, notamment, au XXe siècle, l’avenir des assyro-chaldéens est pensé avec espoir : « Aujourd’hui, avec les indépendances caucasiennes et la nouvelle Russie, ils retrouvent leur liberté, renouent les contacts avec leurs compatriotes en diaspora et apprennent à espérer. »

Somme toute, une lecture originale que nous recommandons vivement !

Antoine Fleyfel

Université catholique de Lille

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