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Recension de la “Théologie contextuelle arabe” effectuée par Christian Cannuyer dans les Mélanges de Sciences Religieuses, Université Catholique de Lille, T. 68, 2011, n° 3, p. 61-63.
Antoine Fleyfel, La théologie contexte arabe. Modèle libanais, coll. “Pensée religieuse & philosophique arabe”, L’Harmattan, Paris, 2011, 330 p., 31,50 euros.
En ces jours de colère où le “printemps arabe” suscite chez nombre de chrétiens d’Orient, comme chez beaucoup de leurs concitoyens musulmans, l’espérance de voir émerger des sociétés citoyennes ouvertes à la liberté religieuse – non sans que les étreigne aussi l’angoisse d’une possible dérive vers de mortelles radicalisations identitaires – , ce livre, issu d’une thèse de doctorat défendue à l’Université de Strasbourg, tient à la fois du travail académique et d’une volonté d’engagement personnel de son auteur dans le renouvellement du discours chrétien arabe. Disons d’entrée de jeu qu’on y trouvera de féconds éléments de réflexion et d’exceptionnelles clefs d’analyse de la situation et du rôle des chrétiens arabes, notamment au Liban, dans un contexte où la montée des fondamentalismes religieux, l’instabilité politique chronique de la région, ses difficultés économiques, ses mutations démographiques, donnent le sentiment que leurs Églises sont arrivées à un moment critique de leur histoire, certains évoquant même la perspective de leur effacement définitif, sinon de leur disparition.
Selon l’auteur, cette situation appelle une manière de “réincarnation” de la théologie chrétienne proche-orientale, tenant compte des spécificités du contexte arabo-musulman et se distanciant à cette fin – sans les rejeter pour autant – des héritages d’une théologie traditionnelle focalisée sur le passé, comme des modèles “clef sur porte” importés de la théologie occidentale. C’est le témoignage évangélique et le service de l’homme arabe, tout homme arabe, qui doivent être au centre de ce renouveau invitant chaque chrétien à “incarner l’amour là où il se trouve”, à être “le sel de la terre et l’instrument de la paix dans une région constamment ravagée par la guerre, la misère” (p. 306). Il s’agit ainsi d’élaborer une véritable “théologie contextuelle arabe”, pour reprendre un concept dont A. Fleyfel expose, dans le premier chapitre de son ouvrage, la genèse dans les milieux missionnaires œcuméniques à partir des années ’70, et décrit les grandes tendances représentées par des auteurs comme Hesselgrave, Rommen, Matheny, Boff, Zorn, Sedmak, Schreiter, Bevans – dont la réflexion lui semble particulièrement pertinente pour le cas libanais — et Pears.
Or quelques théologiens libanais se sont engagés, selon A. Fleyfel, dans cette voie d’une “théologie contextuelle” sans la percevoir explicitement comme telle, tel Monsieur Jourdain faisant de la prose en l’ignorant. Trop peu considérés au Liban même et dans le monde arabe, totalement méconnus en Occident, ces théologiens sortent la théologie orientale de l’enfermement convenu où la confinent l’histoire tortueuse des christologies, la splendeur spirituelle des Pères, les turbulences des ecclésiologies ou la somptuosité des traditions liturgiques. “La théologie en Orient est aussi une question de vie, une pensée chrétienne qui cherche continuellement les meilleurs moyens nécessaires pour témoigner de la manière la plus adéquate de l’amour du Nazaréen” (p. 22). En cela, A. Fleyfel reprend un chantier ouvert – et hélas assez vite avorté ! – , voici un quart de siècle, par le “Centre de Théologie du Moyen-Orient” (cf. le 1er Symposium au titre révélateur, Pour une théologie contemporaine du Moyen-Orient, Institut St-Paul de Philosophie et de Théologie, Harissa, 1987), au sein duquel œuvrait notamment le P. Serge Descy, mon prédécesseur à la direction de la revue Solidarité-Orient (Bruxelles).
C’est l’œuvre de cinq de ces théologiens pionniers qu’A. Fleyfel explore avec beaucoup de finesse et de sympathie : les maronites Michel Hayek (1928-2005) et Youakim Moubarac (1924-1995), l’archevêque grec-melkite-catholique de Beyrouth Grégoire Haddad (1924 -) – démis de ses fonctions en 1975 pour sa “théologie de la libération” trop audacieuse et “rouge” —, le métropolite grec-orthodoxe de Byblos et Botris Georges Khodr (1923-), et le jeune (né en 1964) professeur de l’Université Libanaise Mouchir Aoun. L’auteur y associe les travaux du P. Jean Corbon (1924-2001), prêtre de l’Église grecque-mellkite-catholique et une des plus grandes figures de l’œcuménisme moyen-oriental, célèbre pour un essai qui fit date : L’Église des Arabes (Paris, Cerf, 1977, 2007²). À l’exception d’Aoun, ces auteurs furent contemporains de la naissance de la République libanaise et des bouleversements majeurs qu’a connus le Proche-Orient dans les décennies suivantes, surtout depuis la création dramatique de l’État d’Israël ayant entraîné l’exode des Palestiniens et une succession de guerres traumatisantes. La guerre “civile” libanaise, de 1975 à 1991, a été pour eux source d’un grave désappointement, notamment à l’égard du dialogue islamo-chrétien, ce qui explique le nombre malheureusement très réduit de théologiens actuels s’inscrivant dans leur sillage.
Cinq grands axes charpentent la “théologie contextuelle” arabe et libanaise qui se dégage des écrits des théologiens retenus par Fleyfel : 1. Un regard nouveau sur l’islam, auquel est reconnu une participation à la vérité divine, que ce soit dans une perspective inclusiviste (Khodr, Hayek) considérant que le Christ est à l’œuvre dans toute les religions, ou dans la perspective plus résolument pluraliste de Moubarac (l’islam est une religion authentiquement abrahamique) ou d’Aoun (la pluralité des religions a un sens au yeux de Dieu; l’islam a une expérience unique de Dieu), sans oublier l’option “orthopraxique” de Haddad qui invite à une rencontre existentielle profonde entre chrétiens et musulmans autour des grandes causes de l’humanité bafouée et souffrante. 2. L’exigence œcuménique, le souhait de dépasser les divisions historiques et de reconstruire l’Unité de l’Église, indispensable à la crédibilité du témoignage chrétien en Orient arabo-musulman. Cela passe par la rupture avec l’uniatisme ou le prosélytisme agressif, dans une perspective de restauration de la communauté ecclésiale antiochienne et du retour à ses sources spécifiques. 3. Un renouveau de la théologie insistant sur la quête du sens de la présence chrétienne au Moyen-Orient, sur la mise en œuvre de formulations théologiques adaptées au contexte libanais et arabe, soucieuse des implications politiques et sociales du message évangélique , résolument engagée dans l’arabité. 4. Dans la foulée, la théologie ne peut faire l’impasse sur sa dimension politique : lutte pour la promotion de l’être humain, du pluralisme, de la justice sociale, dans le cadre d’États à tendance “laïque” ou “civique”, rejetant le confessionnalisme, encourageant sans défaillance la cause palestinienne et s’opposant fermement au sionisme exclusiviste incarné par l’État d’Israël, qui est une déformation nuisible du judaïsme avec lequel le dialogue et la rencontre doivent être au contraire recherchés. 5. Tous ses aspects sont indissociables d’une “théologie de la libération” (toujours implicite dans la concept de “théologie contextuelle”), qui n’est que peu consciente chez la plupart des auteurs étudiés mais qui implique la libération du discours théologique des obscurités inutiles héritées du passé et considère comme une priorité la libération de l’homme arabe des oppressions politiques, sociales et économiques dont il souffre au Proche-Orient.
On voit à quel point ces axes balisent les chemins où s’engagent d’ores et déjà maints chrétiens arabes, laïcs et hommes d’Église, en ces heures cruciales et grosses d’incertitude où le vacillement des cadres vermoulus des dictatures apparaît comme un kairos, un moment décisif où le témoignage chrétien doit, en Orient, s’ouvrir à l’aggiornamento qui lui permettra d’être, à la lumière de l’impératif d’amour enseigné par le Christ, ferment d’humanité dans ces nouvelles sociétés en gestation. À cet aggiornamento salutaire, Antoine Fleyfel croit de tout son cœur, avec tout son enthousiasme et toute son intelligence. Voilà pourquoi son livre est essentiel.
Christian Cannuyer
Publié par : Salwa Nsouli-Lalardrie, 30 juin 2011
Lien du Site Web original : http://libanavenir.wordpress.com/2011/06/30/4eme-rendez-vous/
Le triste spectacle auquel nous avons assisté pour former le gouvernement et pour faire le partage des portefeuilles ministériels entre tel ou tel bloc, puis pour attribuer ceux-ci à tel ou tel quidam, ainsi que les troubles graves dans notre voisinage aux répercussions inévitables sur notre pays, rendent indispensables une prise de conscience de nos problèmes, une remise en question de nos institutions, de nos comportements, et une volonté d’y remédier en préparant l’avenir dès aujourd’hui, il y va de l’existence de ce pays.
Dans l’immédiat, et en prévision de la prochaine échéance électorale, il est urgent d’élaborer une nouvelle loi plus juste et plus représentative des forces vives du pays. Bahige Tabbarah nous fait l’amitié de proposer sur ce site, ses réflexions à ce sujet.
Quant à moi, je voudrais revenir sur notre régime confessionnel tant discuté et sur la laïcité, objet de tant d’amalgames, afin de clarifier la réflexion et préciser les concepts.
Je m’appuierai sur trois ouvrages remarquables. Il s’agit de :
« La théologie contextuelle arabe. Modèle libanais » d’Antoine Fleyfel ( Ed. L’Harmattan, 2011), qui analyse les idées et la position personnelle de quatre théologiens libanais, compte tenu du contexte dans lequel ils vivent : Michel Hayek, Youakim Moubarac, Grégoire Haddad—que je salue, ayant été la trésorière de l’antenne à Paris du Mouvement social qu’il a fondé–, Georges Khodr—dont je lis régulièrement et avec intérêt les articles—et Mouchir Aoun.
« L’islam est-il hostile à la laïcité ? » de Abdou Filali-Ansary (Ed.Le Fennec, 1997), qui discute et argumente la manière de voir la laïcité par des penseurs musulmans contemporains.
« Les laïcités sans frontières » de Jean Bauberot et Micheline Milot (Ed. du Seuil, janvier 2011), qui se livrent à une lecture historique, sociologique et politique de ce thème censé répondre aux défis des sociétés pluralistes.
Le régime confessionnel est classiquement considéré comme le fondement de la convivialité libanaise et le garant de l’existence physique des confessions et de leurs droits au sein du pays. Un idéal culturel, qui a révélé dans la réalité son vrai visage.
Les quatre théologiens condamnent le confessionnalisme et ses méfaits. Cependant, Georges Khodr fait observer que cela n’implique pas que le régime confessionnel, en soi, fût mauvais. C’est l’exploitation de ce régime, selon lui, et sa mauvaise utilisation par les politiciens, qui mènent aux impasses confessionnelles au Liban. Les autres le condamnent absolument, et je ne résiste pas à vous rapporter les grandes lignes de l’attitude de Mouchir Aoun face au confessionnalisme.
Pour lui, le confessionnalisme est la cause première de « la fragilité libanaise », car il conduit à l’absence de citoyenneté, à l’absence d’appartenance et d’identité, aux allégeances des confessions à des puissances régionales ou occidentales ; il nuit à la liberté de la pensée et favorise une conception monolithique de la vérité ; il crée une complicité malsaine entre les gens de la politique et ceux de la religion.
Je partage totalement ces observations et regrette douloureusement le temps perdu.
En effet, ce n’est pas sans raison que depuis la naissance de la République libanaise, il est demandé l’abolition de ce régime confessionnel. Et pas par n’importe qui—D’éminents penseurs, des auteurs et des journalistes, n’ont cessé de le dénoncer. Ce n’étaient ni des bornés, ni des mécréants, mais des patriotes qui voyaient loin, qui n’imaginaient cependant pas, dans leurs cauchemars les plus fous, quelle serait l’évolution de leur pays. Depuis, une guerre où les uns brandissaient la croix et les autres les versets du Coran ; depuis, une succession de crises, de blocages, de paralysie des institutions, une gestion du pays qui va à vau-l’eau, et ce, dans un climat de tensions, de discorde, voire de haine…
Ce n’est pas sans raison que des organisations de la société civile poursuivent la lutte contre ce système depuis des années.
Ce n’est pas sans raison qu’il y eut au cours des derniers mois des manifestations réclamant l’abolition du système confessionnel. Ce n’est ni pour imiter «les révoltes du printemps arabe », ni par caprice… Ces jeunes refusent ce système qu’ils perçoivent, confusément, comme le mal premier au sein d’un ensemble protéiforme dans lequel ils ne savent ni qui accuser ni comment on peut y remédier. Sans compter qu’ils ne supportent plus qu’on se paie de mots, et pour commencer, une Constitution qui énonce : « Tous les Libanais sont égaux devant la loi. Ils jouissent également des droits civils et politiques ».
Y remédier ? De nombreuses voix se sont élevées pour réclamer la laïcité (nous reviendrons sur ce concept plus loin) ; les quatre théologiens sus-cités en font partie. Cependant, les diverses opinions et les nombreux articles parus dans les journaux que les manifestations ont provoqués, prouvent qu’il existe bien de confusions.
° Il y a ceux qui considèrent que le problème de la laïcité n’existe pas puisque l’État libanais est un État laïque compte tenu qu’il est gouverné par des gens laïcs et par des lois laïques (à l’exception des lois matrimoniales). Que de toute façon, l’islam n’a pas besoin de laïcité. Il serait déjà laïque en substance : la catégorie des hommes de religion—‘ulama, fuqaha, mufti qui sont intégrés à la société– ne constitue en aucun cas un corps structuré et hiérarchisé qui cherche à imposer les doctrines et les normes religieuses à la société. (Je suppose que le penseur musulman, qu’indique à ce sujet Abdou Filali-Ansary, ne fait allusion qu’au sunnisme).
° Il y a ceux qui estiment que la laïcité est étrangère à l’esprit de l’islam parce qu’elle leur semble symboliser le renoncement à l’idéal de justice et de moralité collective. En tant que système de valeurs, l’islam ne peut favoriser une société fondée sur le « laissez-faire » (sic). Si la laïcité est assimilée à un libéralisme pur, rejetant toute idée de valeur morale comme ciment social, alors là, oui, l’islam lui serait certainement hostile.
Et par les chrétiens, elle est suspectée d’athéisme, écartant la dimension religieuse et l’ouverture à Dieu et à l’absolu. Elle est même taxée d’antireligieuse, d’anticléricale, opposée aux valeurs et institutions religieuses.
° Il y a ceux qui évitent d’utiliser le terme, pour un contenu qui s’en rapprocherait. G. Khodr opte pour une laïcité synonyme « d’Etat civil» ; M. Hayek, pour « un pays areligieux » ; le Synode des évêques du Moyen-Orient, en octobre 2010, au Vatican, préfère le terme « d’Etat civique » ; Al-Azhar, dans le débat sur l’Égypte post- Moubarak, se prononce pour un État « démocratique, moderne et non religieux ».
De même, pour certains penseurs musulmans, en appeler à un dépassement du sous-développement ou à la mise en œuvre de la rationalité et de la démocratie dans leurs pays « n’est qu’une façon détournée d’exprimer le contenu de la laïcité sans l’appeler par son nom ».
Qu’est la laïcité en définitive ?
Le mot a un contenu variable.
Il est dangereux que la laïcité à la française soit prise comme prototype de toute laïcité. Considérée comme militante, hostile à la religion, elle fut, en effet, d’abord anticléricale, a constitué l’enjeu de débats, de tensions, de conflits internes ; elle continue à être instrumentalisée. « Quand on parle de laïcité à la française , cela ne veut rien dire. À ce régime-là, il y a 27 exceptions en Europe », s’enflamme Émile Poulat, historien et sociologue.
Il est important de se refuser à une analyse simplement définie par les seules considérations d’un pays donné, à un moment donné, d’après les contingences politiques propres à ce pays.
Il existe différentes laïcités dans le temps et dans l’espace. Les voies pour y parvenir suivent des tracés très différents selon les contextes historiques et nationaux. C’est pourquoi, écrit J. Bauberot, elle se décline au pluriel par ses principes constitutifs à travers leurs diverses articulations.
La laïcité est « plurielle », mais c’est une notion singulière, poursuit-il. La laïcité doit, en effet, répondre au problème posé concernant directement les conditions politiques qui rendent possible une cohabitation pacifique entre des groupes d’individus dont la conception de la vérité est différente. Elle concerne donc l’aménagement politique, puis la traduction juridique de la place de la religion dans la société civile et dans les institutions publiques.
Quatre principes interdépendants la constituent. Si diverses que soient leurs formes et les situations auxquelles elles correspondent, les laïcités ont toutes en commun le fait d’articuler, de façon plus ou moins harmonieuse, ces quatre principes . Deux portent sur les finalités et deux, sur les moyens. Leur émergence ne suit pas le même ordre chronologique dans tous les contextes nationaux. Les deux premiers, objectifs relatifs à la tolérance, se sont traduits graduellement dans le droit : liberté de conscience et de religion, et son prolongement nécessaire, l’égalité. Les deux autres principes, les moyens, concernent l’aménagement politique qui favorise la concrétisation des finalités : la séparation du politique et du religieux et la neutralité de l’État, c’est-à-dire l’impartialité de la gouvernance à l’égard des divers groupes convictionnels de la société civile.
La neutralité ne signifie pas pour autant que l’État soit « sans valeurs » puisque la gouvernance étatique repose sur des valeurs fondamentales comme la démocratie, la tolérance, le respect de la diversité et les droits de l’homme. Quant au discours sur le sens de la vie, qu’on accuse la laïcité de dévoyer ou d’évacuer, ce discours ne la concerne tout simplement pas ! Par les garanties des libertés de conscience et d’expression, la multiplicité des propositions de sens (avec d’ailleurs, une diversité interne à chaque confession) se déploie sans entraves dans toutes les sociétés démocratiques. En cela, J. Bauberot rejoint le penseur musulman qui écrit : « la laïcité est en soi un cadre vide »… Elle n’est l’expression d’aucune idéologie ; islam et laïcité ne sont pas des catégories comparables, ne se situent pas sur le même plan pour qu’elles puissent faire l’objet d’un rapprochement. L’une est une religion universelle, l’autre, un mode d’organisation socio-politique.
Les ambiguïtés linguistiques expliquent aussi les méfiances vis-à-vis de la laïcité.
Ainsi, en arabe, le terme de «’almaniyyah » traduit deux notions, « laïcité » et « sécularisme ». Comme nous l’avons vu, la laïcité est un concept de régulation, d’aménagement politique de la liberté de conscience en démocratie. Alors que le sécularisme est rattaché dans l’esprit de beaucoup à sécularisation, dont il est sémantiquement proche. Et sécularisation est un concept socioculturel concernant les idées, les mœurs, le comportement des individus et englobe la régulation politique des convictions et des religions. Multidimensionnel, il multiplie les équivoques. Ainsi le processus de sécularisation se dédouble, et peut aussi bien avoir pour résultat une « société permissive » éloignée des normes religieuses, que des liens distendus entre religion et Etat. La confusion vient du fait que les écrits de langue anglaise recourent aux notions de secularism ou de secular state pour décrire la réalité politique de l’État. Depuis quelques années, le néologisme laicity est utilisé dans les publications anglophones.
Remplacer, en arabe, le terme « laïque » par d’autres termes qui auront nombre d’autres sens, comme « civil » ou « civique », risque de prolonger la confusion.
Aux termes de ces précisions, je souhaite que les ambiguïtés concernant la laïcité ont été levées. J’ajoute que la dissociation entre citoyenneté et religion est maintenant partout réalisée dans les pays démocratiques.
Les temps changent, comme notre environnement géopolitique, comme notre société. Il serait grand temps d’adopter dans celle-ci la laïcité qui est, écrit A. Fleyfel, d’ores et déjà « de mise pour la pensée chrétienne religieuse libanaise, essentiellement parce qu’elle est considérée comme un antidote aux impasses du confessionnalisme, mais aussi parce qu’elle favorise la citoyenneté et préserve la diversité culturelle et religieuse sans succomber au piège du recroquevillement confessionnel ». J’ose espérer que le dialogue islamo- chrétien en cours permettra aux autres confessions de progresser dans la même voie.
Salwa Nsouli-Lalardrie
30 Juin 2011
« La théologie contextuelle arabe. Modèle libanais, Paris, L’Harmattan, avril 2011, 332 p. », est un livre récent du Dr Antoine Fleyfel, qui aborde la problématique de la théologie contextuelle pour la première fois dans le contexte libanais.
Fleyfel veut souligner la contextualité de certaines réflexions théologiques libanaises locales, tout en inscrivant leurs méthodes dans le sillage des méthodes universelles de la théologie contextuelle. Cela permet à l’écrivain d’établir les défis de la théologie libanaise et ses horizons d’avenir. La construction de cet ouvrage se fait en trois étapes. Le premier chapitre analyse les pensées de théologiens qui ont essayé de définir l’essence de la théologie contextuelle, méthode théologique nouvelle qui a vu le jour dans les années 1970. Si les théologies traditionnelles s’appuient sur deux sources pour élaborer leurs systèmes, la théologie contextuelle s’appuie sur une troisième source qu’elle considère souvent de la même importance : le contexte. La théologie de la libération en Amérique du sud est un exemple type de théologie contextuelle. Celle-là a considéré l’état de pauvreté et de misère vécu par les peuples comme une source théologique pour la compréhension de Dieu et de l’évangile du Christ. Les chapitres deux, trois, quatre, cinq et six étudient les pensées des théologiens suivants : Michel Hayek, Youakim Moubarac, Grégoire Haddad, Georges Khodr et Mouchir Aoun. Les analyses de ces pensées théologiques mettent en valeur leurs aspects contextuels uniques qui abordent la théologie d’une manière nouvelle et subtile, et qui se différencie souvent des méthodes théologiques classiques. Quant au septième et dernier chapitre, il définit d’une manière ordonnée le contenu de la théologie contextuelle arabe libanaise, ses problématiques actuelles et ses perspectives d’avenir.
La théologie contextuelle arabe libanaise s’appuie sur quatre jalons. Premièrement, elle aborde le dialogue islamo-chrétien d’une manière nouvelle. Ainsi, l’islam n’est plus considéré comme la religion de la fausseté et de l’égarement, ni le Prophète Mahomet comme un prophète mensonger, tel que le croyaient beaucoup de théologiens chrétiens arabes qui ont vécu durant les siècles passés. Au contraire, la théologie contextuelle arabe condamne radicalement ces conceptions, et inscrit l’islam et son Prophète dans la vérité de Dieu. Cela a une grande incidence sur le dialogue interreligieux. Deuxièmement, la théologie contextuelle arabe libanaise insiste sur l’importance de la réforme de la théologie et des Églises. Il est d’ores et déjà impossible pour les Églises de penser, d’agir et de parler avec le monde comme elles le faisaient durant les siècles passés. Ainsi, il leur incombe d’être constamment en état de réforme, de renouveau et de dialogue avec la modernité et le monde actuel. Cette réforme devrait être accompagnée par une réforme de la théologie locale qui souffre de la lourdeur des traductions et du copiage, du grand nombre d’écrits historiques, pieux et sentimentaux, et de la grande rareté des études théologiques systématiques et fondamentales locales, originales et actuelles. Quant à l’œcuménisme, il est une nécessité incontournable puisqu’aucun témoignage authentique des Églises n’est possible sans se mettre sur les voies de la communion ecclésiale. Troisièmement, la théologie politique est considérée comme une élaboration nécessaire qui réfléchit d’une manière croyante autour des questions centrales pour le contexte libanais, comme la guerre libanaise, le confessionnalisme et la laïcité, la cause palestinienne et le sionisme. Il est remarquable de constater que tous les théologiens abordés par cet ouvrage sont opposés au confessionnalisme, et adhèrent tous à une forme de laïcité, chacun à sa manière, d’une façon très réservée ou explicite, voire militante. Quant au sionisme, ils le condamnent et le considèrent criminel et responsable des grands malheurs des arabes et des souffrances du peuple palestinien. La théologie libanaise tient beaucoup à la convivialité des chrétiens, musulmans et laïcs au sein du contexte libanais, considéré comme l’anti-modèle de l’État sioniste raciste. Quatrièmement, la théologie contextuelle arabe libanaise est une théologie de la libération, parce que l’homme arabe a besoin d’être libéré de la pauvreté, de l’occupation, de l’ignorance, du confessionnalisme, du fanatisme, de l’asservissement à des régimes corrompus et tyranniques, et de l’hégémonie de certains États étrangers. Mais la libération commence, comme le dit Michel Hayek, par la libération de l’homme intérieur. La liberté n’est pas possible si son point de départ n’est pas intérieur.
Cet ouvrage a paru dans la collection fondée par l’auteur, et intitulée : « Pensée religieuse et philosophique arabe ». Cette collection s’apprête à imprimer plus de dix livres de théologiens et philosophes libanais et arabes dans les deux années à venir. Le mois prochain paraîtra le deuxième volume de la collection, un ouvrage du philosophe libanais Paul Khoury ayant comme titre : « Islam et christianisme. Dialogue religieux et défi de la modernité ».
Antoine Fleyfel est docteur en philosophie de l’Université Paris I – Sorbonne (2007), et docteur en théologie de l’Université de Strasbourg (2011). Une table ronde aura lieu à Antélias autour de son dernier ouvrage le jeudi 9 juin 2011 à 18h30 précises. Trois théologiens discuteront de ce livre, les pères professeurs : Paul Rouhana (maronite), Georges Massouh (grec orthodoxe) et Gaby Hachem (grec catholique). L’auteur signera son livre à l’issu de la table ronde.
L’Orient Le Jour
09.06.2011
اللاهوت المسيحيّ في سياقه العربيّ بقلم الاب جورج مسوح
ليس ثمّة إجماع لدى اللاهوتيّين في شأن الموقف الواجب من اللاهوت السياقيّ. فمنهم مَن يجعل اللاهوت جوهرًا لا يتغيّر بتغيّر السياق التاريخيّ أو الاجتماعيّ أو الثقافيّ، ومنهم مَن يقول بأنّ اللاهوت من دون الالتفات إلى السياق الذي يحيط به، هو لاهوت عقيم لا أثر له في حياة المؤمنين والمجتمع. لذلك، مثلاً، لم يتمّ الإجماع حول لاهوت التحرير في أميركا اللاتينيّة والقارّة الإفريقيّة.
يخوض الباحث أنطوان فليفل في كتابه “اللاهوت السياقيّ العربيّ، النموذج اللبنانيّ” (بالفرنسيّة، دار لارماتان، باريس، 2011) غمار هذا اللاهوت. فيستخرج الأفكار الأساسيّة من مؤلّفات خمسة لاهوتيّين لبنانيّين أخضعوا رؤاهم اللاهوتيّة للسياقات التاريخيّة والحضاريّة والثقافيّة والاجتماعيّة والسياسيّة، والذين عملوا في سبيل استنباط لاهوت مسيحيّ يلتزم قضايا شعوبهم ومنطقتهم. هؤلاء الخمسة اللاهوتيّين هم: الأب ميشال حايك، والأب يواكيم مبارك، والمطران غريغوار حدّاد، والمطران جورج خضر، ومشير عون.
يكشف أنطوان فليفل عبر بحثه الشيّق ميزات اللاهوت العربيّ السياقيّ الخاصّة بالبيئة العربيّة. وتختلف قضايا هذا اللاهوت السياقيّ العربيّ عن أمثاله من لاهوتات سياقيّة نسويّة أو تحرّريّة أو سوداء (متّصلة بالقارّة الإفريقيّة) تهمّ المجتمعات التي تتحرّك فيها، أو تلك التي تشغل بال اللاهوتيّين. هذا التمايز العربيّ فرضته الظروف والأحداث التي يمرّ بها العالم العربيّ، والتي أعمل الالتزام بمواجهتها الفكر اللاهوتيّ العربيّ.
ما يجمع اللاهوتيّين الخمسة عدّة قضايا، أبرزها على الإطلاق قضيّة الشعب الفلسطينيّ الذي طُرد من وطنه قهرًا وظلمًا، فتراهم يعملون على تفكيك المقولات الصهيونيّة والردّ عليها لاهوتيًّا، ودحضها من أصولها. ويتناول هؤلاء اللاهوتيّون أيضًا موضوع الطائفيّة في لبنان، والسبل الآيلة إلى تحسين العلاقات بين اللبنانيّين والخروج من الحالة الطائفيّة إلى الحالة الوطنيّة الجامعة. كما لا يغيب الشأن الاجتماعيّ عن هواجسهم، فمسائل الظلم الاجتماعيّ والتفاوت بين الأغنياء والفقراء يشكّلان محورًا رئيسيًّا من محاور اهتماماتهم.
تحتلّ العودة إلى الوحدة بين المسيحيّين حيّزًا كبيرًا من انشغالات اللاهوتيّين المذكورين. فتعدّد الكنائس المتجذّرة كلّها في هذه الأرض يجعلها تبحث عن التقارب فيما بينها في سياقات مختلفة عن بلاد لا تعرف هذا التعدّد. لذلك، ثمّة خصوصيّة مسكونيّة في العالم العربيّ فرضتها الخبرات المسيحيّة المتنوّعة لا يمكن أن تكون حاضرة في بلاد أخرى.
الميزة الأهم للمسيحيّات العربيّة هي وجودها في شراكة إنسانيّة ووطنيّة واجتماعيّة وجضاريّة وثقافيّة مع المسلمين، وبخاصّة أنّ المسيحيّين العرب يتكلّمون بلغة القرآن، كتاب المسلمين المجيد. من هنا تبرز أهمّيّة اللاهوت المسيحيّ العربيّ بإزاء الحوار المسيحيّ الإسلاميّ، وبإزاء قضايا المسلمين والعرب. وقد كان اللاهوتيّون العرب السبّاقين في إظهار النقاط المشتركة التي تجمع المسلمين والمسيحيّين على صعيد الإيمان بالله الواحد والخلاص والعمل المشترك في سبيل إعمار الأرض وخير الإنسان.
يمثّل كتاب أنطوان فليفل فتحًا مبينًا في الأبحاث والدراسات التي تتناول أهمّيّة اللاهوت المسيحيّ في السياقين العربيّ واللبنانيّ. وعلى الرغم من تعريفه القارئ الفرنسيّ بهذا اللاهوت العربيّ، وهو ما يشكّل خدمةً جلّى للفكر المسيحيّ العربيّ، فإنّنا ننتظر صدور هذا الكتاب معرّبًا كي يكون شهادةً للمسيحيّين يفخرون بها، وتذكيرًا لهم بأنّ الطريق أمامهم لمّا ينتهِ بعد.
المصدر : جريدة النهار اللبنانية08.06.2011
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