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Salwa Nsouli-Lalardrie, “Liban avenir, 4ème rendez-vous”, 30.06.2011

Publié par : Salwa Nsouli-Lalardrie, 30 juin 2011

Lien du Site Web original : http://libanavenir.wordpress.com/2011/06/30/4eme-rendez-vous/

Le triste spectacle auquel nous avons assisté pour former le gouvernement et pour faire le partage des portefeuilles ministériels entre tel ou tel bloc, puis pour attribuer ceux-ci à tel ou tel quidam, ainsi que les troubles graves dans notre voisinage aux répercussions inévitables sur notre pays, rendent indispensables une prise de conscience de nos problèmes, une remise en question de nos institutions, de nos comportements, et une volonté d’y remédier en préparant l’avenir dès aujourd’hui, il y va de l’existence de ce pays.

Dans l’immédiat, et en prévision de la prochaine échéance électorale, il est urgent d’élaborer une nouvelle loi plus juste et plus représentative des forces vives du pays. Bahige Tabbarah nous fait l’amitié de proposer sur ce site, ses réflexions à ce sujet.

Quant à moi, je voudrais revenir sur notre régime confessionnel tant discuté et sur la laïcité, objet de tant d’amalgames, afin de clarifier la réflexion et préciser les concepts.

Je m’appuierai sur trois ouvrages remarquables. Il s’agit de :

« La théologie contextuelle arabe. Modèle libanais » d’Antoine Fleyfel ( Ed. L’Harmattan, 2011), qui analyse les idées et la position personnelle de quatre théologiens libanais, compte tenu du contexte dans lequel ils vivent : Michel Hayek, Youakim Moubarac, Grégoire Haddad—que je salue, ayant été la trésorière de l’antenne à Paris du Mouvement social qu’il a fondé–, Georges Khodr—dont je lis régulièrement et avec intérêt les articles—et Mouchir Aoun.

« L’islam est-il hostile à la laïcité ? » de Abdou Filali-Ansary (Ed.Le Fennec, 1997), qui discute et argumente la manière de voir la laïcité par des penseurs musulmans contemporains.

« Les laïcités sans frontières » de Jean Bauberot et Micheline Milot (Ed. du Seuil, janvier 2011), qui se livrent à une lecture historique, sociologique et politique de ce thème censé répondre aux défis des sociétés pluralistes.

Le régime confessionnel est classiquement considéré comme le fondement de la convivialité libanaise et le garant de l’existence physique des confessions et de leurs droits au sein du pays. Un idéal culturel, qui a révélé dans la réalité son vrai visage.

Les quatre théologiens condamnent le confessionnalisme et ses méfaits. Cependant, Georges Khodr fait observer que cela n’implique pas que le régime confessionnel, en soi, fût mauvais. C’est l’exploitation de ce régime, selon lui, et sa mauvaise utilisation par les politiciens, qui mènent aux impasses confessionnelles au Liban. Les autres le condamnent absolument, et je ne résiste pas à vous rapporter les grandes lignes de l’attitude de Mouchir Aoun face au confessionnalisme.

Pour lui, le confessionnalisme est la cause première de « la fragilité libanaise », car il conduit à l’absence de citoyenneté, à l’absence d’appartenance et d’identité, aux allégeances des confessions à des puissances régionales ou occidentales ; il nuit à la liberté de la pensée et favorise une conception monolithique de la vérité ; il crée une complicité malsaine entre les gens de la politique et ceux de la religion.

Je partage totalement ces observations et regrette douloureusement le temps perdu.

En effet, ce n’est pas sans raison que depuis la naissance de la République libanaise, il est demandé l’abolition de ce régime confessionnel. Et pas par n’importe qui—D’éminents penseurs, des auteurs et des journalistes, n’ont cessé de le dénoncer. Ce n’étaient ni des bornés, ni des mécréants, mais des patriotes qui voyaient loin, qui n’imaginaient cependant pas, dans leurs cauchemars les plus fous, quelle serait l’évolution de leur pays. Depuis, une guerre où les uns brandissaient la croix et les autres les versets du Coran ; depuis, une succession de crises, de blocages, de paralysie des institutions, une gestion du pays qui va à vau-l’eau, et ce, dans un climat de tensions, de discorde, voire de haine…

Ce n’est pas sans raison que des organisations de la société civile poursuivent la lutte contre ce système depuis des années.

Ce n’est pas sans raison qu’il y eut au cours des derniers mois des manifestations réclamant l’abolition du système confessionnel. Ce n’est ni pour imiter «les révoltes du printemps arabe », ni par caprice… Ces jeunes refusent ce système qu’ils perçoivent, confusément, comme le mal premier au sein d’un ensemble protéiforme dans lequel ils ne savent ni qui accuser ni comment on peut y remédier. Sans compter qu’ils ne supportent plus qu’on se paie de mots, et pour commencer, une Constitution qui énonce : « Tous les Libanais sont égaux devant la loi. Ils jouissent également des droits civils et politiques ».

Y remédier ? De nombreuses voix se sont élevées pour réclamer la laïcité (nous reviendrons sur ce concept plus loin) ; les quatre théologiens sus-cités en font partie. Cependant, les diverses opinions et les nombreux articles parus dans les journaux que les manifestations ont provoqués, prouvent qu’il existe bien de confusions.

° Il y a ceux qui considèrent que le problème de la laïcité n’existe pas puisque l’État libanais est un État laïque compte tenu qu’il est gouverné par des gens laïcs et par des lois laïques (à l’exception des lois matrimoniales). Que de toute façon, l’islam n’a pas besoin de laïcité. Il serait déjà laïque en substance : la catégorie des hommes de religion—‘ulama, fuqaha, mufti qui sont intégrés à la société– ne constitue en aucun cas un corps structuré et hiérarchisé qui cherche à imposer les doctrines et les normes religieuses à la société. (Je suppose que le penseur musulman, qu’indique à ce sujet Abdou Filali-Ansary, ne fait allusion qu’au sunnisme).

° Il y a ceux qui estiment que la laïcité est étrangère à l’esprit de l’islam parce qu’elle leur semble symboliser le renoncement à l’idéal de justice et de moralité collective. En tant que système de valeurs, l’islam ne peut favoriser une société fondée sur le « laissez-faire » (sic). Si la laïcité est assimilée à un libéralisme pur, rejetant toute idée de valeur morale comme ciment social, alors là, oui, l’islam lui serait certainement hostile.

Et par les chrétiens, elle est suspectée d’athéisme, écartant la dimension religieuse et l’ouverture à Dieu et à l’absolu. Elle est même taxée d’antireligieuse, d’anticléricale, opposée aux valeurs et institutions religieuses.

° Il y a ceux qui évitent d’utiliser le terme, pour un contenu qui s’en rapprocherait. G. Khodr opte pour une laïcité synonyme « d’Etat civil» ; M. Hayek, pour « un pays areligieux » ; le Synode des évêques du Moyen-Orient, en octobre 2010, au Vatican, préfère le terme « d’Etat civique » ; Al-Azhar, dans le débat sur l’Égypte post- Moubarak, se prononce pour un État « démocratique, moderne et non religieux ».

De même, pour certains penseurs musulmans, en appeler à un dépassement du sous-développement ou à la mise en œuvre de la rationalité et de la démocratie dans leurs pays « n’est qu’une façon détournée d’exprimer le contenu de la laïcité sans l’appeler par son nom ».

Qu’est la laïcité en définitive ?

Le mot a un contenu variable.

Il est dangereux que la laïcité à la française soit prise comme prototype de toute laïcité. Considérée comme militante, hostile à la religion, elle fut, en effet, d’abord anticléricale, a constitué l’enjeu de débats, de tensions, de conflits internes ; elle continue à être instrumentalisée. « Quand on parle de laïcité à la française , cela ne veut rien dire. À ce régime-là, il y a 27 exceptions en Europe », s’enflamme Émile Poulat, historien et sociologue.

Il est important de se refuser à une analyse simplement définie par les seules considérations d’un pays donné, à un moment donné, d’après les contingences politiques propres à ce pays.

Il existe différentes laïcités dans le temps et dans l’espace. Les voies pour y parvenir suivent des tracés très différents selon les contextes historiques et nationaux. C’est pourquoi, écrit J. Bauberot, elle se décline au pluriel par ses principes constitutifs à travers leurs diverses articulations.

La laïcité est « plurielle », mais c’est une notion singulière, poursuit-il. La laïcité doit, en effet, répondre au problème posé concernant directement les conditions politiques qui rendent possible une cohabitation pacifique entre des groupes d’individus dont la conception de la vérité est différente. Elle concerne donc l’aménagement politique, puis la traduction juridique de la place de la religion dans la société civile et dans les institutions publiques.

Quatre principes interdépendants la constituent. Si diverses que soient leurs formes et les situations auxquelles elles correspondent, les laïcités ont toutes en commun le fait d’articuler, de façon plus ou moins harmonieuse, ces quatre principes . Deux portent sur les finalités et deux, sur les moyens. Leur émergence ne suit pas le même ordre chronologique dans tous les contextes nationaux. Les deux premiers, objectifs relatifs à la tolérance, se sont traduits graduellement dans le droit : liberté de conscience et de religion, et son prolongement nécessaire, l’égalité. Les deux autres principes, les moyens, concernent l’aménagement politique qui favorise la concrétisation des finalités : la séparation du politique et du religieux et la neutralité de l’État, c’est-à-dire l’impartialité de la gouvernance à l’égard des divers groupes convictionnels de la société civile.

La neutralité ne signifie pas pour autant que l’État soit « sans valeurs » puisque la gouvernance étatique repose sur des valeurs fondamentales comme la démocratie, la tolérance, le respect de la diversité et les droits de l’homme. Quant au discours sur le sens de la vie, qu’on accuse la laïcité de dévoyer ou d’évacuer, ce discours ne la concerne tout simplement pas ! Par les garanties des libertés de conscience et d’expression, la multiplicité des propositions de sens (avec d’ailleurs, une diversité interne à chaque confession) se déploie sans entraves dans toutes les sociétés démocratiques. En cela, J. Bauberot rejoint le penseur musulman qui écrit : « la laïcité est en soi un cadre vide »… Elle n’est l’expression d’aucune idéologie ; islam et laïcité ne sont pas des catégories comparables, ne se situent pas sur le même plan pour qu’elles puissent faire l’objet d’un rapprochement. L’une est une religion universelle, l’autre, un mode d’organisation socio-politique.

Les ambiguïtés linguistiques expliquent aussi les méfiances vis-à-vis de la laïcité.

Ainsi, en arabe, le terme de «’almaniyyah » traduit deux notions, « laïcité » et « sécularisme ». Comme nous l’avons vu, la laïcité est un concept de régulation, d’aménagement politique de la liberté de conscience en démocratie. Alors que le sécularisme est rattaché dans l’esprit de beaucoup à sécularisation, dont il est sémantiquement proche. Et sécularisation est un concept socioculturel concernant les idées, les mœurs, le comportement des individus et englobe la régulation politique des convictions et des religions. Multidimensionnel, il multiplie les équivoques. Ainsi le processus de sécularisation se dédouble, et peut aussi bien avoir pour résultat une « société permissive » éloignée des normes religieuses, que des liens distendus entre religion et Etat. La confusion vient du fait que les écrits de langue anglaise recourent aux notions de secularism ou de secular state pour décrire la réalité politique de l’État. Depuis quelques années, le néologisme laicity est utilisé dans les publications anglophones.

Remplacer, en arabe, le terme « laïque » par d’autres termes qui auront nombre d’autres sens, comme « civil » ou « civique », risque de prolonger la confusion.

Aux termes de ces précisions, je souhaite que les ambiguïtés concernant la laïcité ont été levées. J’ajoute que la dissociation entre citoyenneté et religion est maintenant partout réalisée dans les pays démocratiques.

Les temps changent, comme notre environnement géopolitique, comme notre société. Il serait grand temps d’adopter dans celle-ci la laïcité qui est, écrit A. Fleyfel, d’ores et déjà « de mise pour la pensée chrétienne religieuse libanaise, essentiellement parce qu’elle est considérée comme un antidote aux impasses du confessionnalisme, mais aussi parce qu’elle favorise la citoyenneté et préserve la diversité culturelle et religieuse sans succomber au piège du recroquevillement confessionnel ». J’ose espérer que le dialogue islamo- chrétien en cours permettra aux autres confessions de progresser dans la même voie.

Salwa Nsouli-Lalardrie
30 Juin 2011

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