L’œcuménisme au Moyen-Orient
L’œcuménisme est depuis plusieurs décennies une exigence ecclésiale et théologique majeure. Il connut des moments forts lors du XXe siècle, notamment à travers la création du Conseil Œcuménique des Églises en 1948 (350 Églises membres), et dans le sillage de l’aggiornamento du concile Vatican II (1962-1965), tournant décisif en la matière. La question œcuménique diffère au Moyen-Orient et fait face à des problèmes propres au contexte.
Un contexte différent
L’œcuménisme auquel l’Occident est en général accoutumé concerne principalement les dialogues entre les catholiques, les protestants, ainsi que les orthodoxes dans certains contextes. Le dialogue œcuménique au Moyen-Orient n’est pas concerné d’une manière directe par les problématiques occidentales, d’autant plus que les protestants y sont une minorité adventice. Il évolue dans un contexte particulier dont il faut soulever deux éléments majeurs.
En plus des trois familles ecclésiales catholiques, orthodoxes et protestantes, il existe en Orient deux autres : les Églises des deux conciles, dites jadis nestoriennes (actuellement les deux Églises assyriennes), qui ont rejeté le concile d’Éphèse en 431, et les orthodoxes orientaux, dits jadis monophysites (copte orthodoxes, arméniens apostoliques et syriaques orthodoxes), ceux qui ont rejeté le concile de Chalcédoine en 451. Cela a des conséquences de taille sur le dialogue qui doit tenir compte de problématiques propres aux histoires des Églises orientales.
Le dialogue a lieu au Moyen-Orient dans un contexte qui relève de la terre originelle du christianisme, où se maintiennent des structures apostoliques, lourdement chargées d’histoire et de traditions. Quatre des cinq sièges de la Pentarchie (Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem) se situent au Moyen-Orient. Les différents schismes les ont fragmentés en une diversité de patriarcats pour chaque siège.
Les défis
Les défis majeurs des Églises du Moyen-Orient sont ceux de leur unité et de leur témoignage, notamment auprès des musulmans. Les problèmes de l’uniatisme et le défi de l’avenir constituent sur ce plan des entraves majeures.
L’uniatisme, ancienne méthode missionnaire catholique à la source de la création des Églises catholiques orientales, est responsable, d’un point de vue œcuménique, d’une « situation qui est devenue source de conflit et de souffrances d’abord pour les orthodoxes mais aussi pour les catholiques ». C’est ce que pensent lesÉglises catholique et orthodoxe, signataires de la déclaration de Balamand (1993) dans laquelle ils rejettent l’uniatisme et s’inscrivent dans une vision conciliaire de l’unité comme rétablissement de la communion entre les Églises.
Quant à la division des chrétiens en Orient, elle eut jadis de lourdes conséquences, dont celle de les rendre minoritaires et persécutés sur leurs terres. Aujourd’hui, le problème de leur présence est de taille, et aucune Église ne réussira à relever le défi toute seul. Les chrétiens s’en sortiront tous ensemble, ou disparaîtront lentement chacun seul dans le coin de son bénitier. Cela constitue la dimension politique de l’œcuménisme.
Difficultés et espoirs
Tout ce qui précède doit tenir compte d’éléments qui dépassent le contexte oriental et relèvent de conjonctures mondiales. Ainsi, la situation mondialement difficile du dialogue œcuménique se répercute sur le Moyen-Orient. Les Églises locales dépendent pour une bonne partie des Églises mondiales, et subissent par conséquent l’ambiance générale qui règne. À cela s’ajoute le problème de la crise identitaire qui traverse tout le monde et qui pousse un grand nombre d’Églises à se renfermer sur elles-mêmes et à adopter des postures parfois peu compatibles avec le dialogue et le témoignage.
Cependant, malgré une conjoncture difficile, l’œcuménisme possède des acteurs sérieux, et à leur tête le Conseil des Églises du Moyen-Orient (CEMO) qui est l’institution œcuménique par excellence dans la région, où presque toutes les Églises sont représentées. Il joue un rôle œcuménique incontestable depuis plusieurs décennies, et revêt un caractère unique puisqu’il est la seule instance œcuménique à avoir l’Église catholique comme membre.
Ceux qui sont engagés sur les chemins de l’œcuménisme rêvent d’une Église Une dans sa communion, que le théologien Jean Corbon décrit ainsi : « Il ne s’agira ni de l’Église […] d’Arabie, ni de l’Église arabe ou antiochienne, ni de l’Église jacobite ou nestorienne, ni de l’Église orthodoxe ou catholique […], mais de l’Église vivante en cette région et dont l’identité inclut les Églises particulières qui la composent. »
Antoine Fleyfel
“L’œcuménisme au Moyen-Orient”, Bulletin de l’Œuvre d’Orient, n. 797, oct.-déc. 2019, p. 58-59.
Leave a Reply