En l’espace d’un an, quatre des plus importantes communautés chrétiennes orientales ont vu leurs primats renouvelés.
Cette nouvelle génération de patriarches va devoir conforter des millions de fidèles inquiets face à l’avenir du monde arabe.
Ils incarnent l’espoir pour des millions de fidèles. Alors qu’un enchaînement de révoltes et de conflits bouleverse l’équilibre du monde arabe, une nouvelle génération de patriarches émerge au sein des Églises orientales. En l’espace d’un an, quatre des plus importantes communautés chrétiennes du Moyen-Orient ont vu leurs primats renouvelés : Béchara Raï, élu le 15 mars 2011 patriarche maronite d’Antioche ; Tawadros II, élu le 4 novembre 2012 pape copte-orthodoxe ; Jean X, élu le 17 décembre 2012 patriarche grec-orthodoxe d’Antioche ; sans oublier la démission, peu avant Noël, du patriarche chaldéen Emmanuel III Delly, dont le successeur doit être désigné, à Rome, le 28 janvier.
En dix ans, la communauté chrétienne irakienne, qui comptait 1 200 000 fidèles avant l’invasion américaine de 2003, a connu une hémorragie dramatique. C’est dire si la mission du futur patriarche s’annonce délicate, à l’instar de celle de ses homologues.
« Ces changements interviennent à un moment décisif pour la présence chrétienne au Proche-Orient, analyse le P. Frans Bouwen, Père Blanc à Jérusalem. Il faudra à ces patriarches de réelles qualités de jugement et de discernement, pour se positionner face aux nouveaux équilibres. Et dans l’immédiat, nous avons plus de questions que de réponses. »
LES ÉGLISES DOIVENT COMPOSER AVEC LA MONTÉE D’UN ISLAM POLITIQUE TRÈS INFLUENT
« Dans ce contexte instable, leur tâche s’annonce plus complexe que celle de leurs aînés, pressent de son côté Mgr Pascal Gollnisch, directeur de l’Œuvre d’Orient. Ils vont devoir susciter une espérance chez les fidèles, les convaincre qu’un avenir est possible sur la terre de leurs origines, sans pour autant négliger ceux, nombreux, qui vivent dans la diaspora. »
Il serait évidemment artificiel de faire une lecture globale de situations qui, de l’Irak à l’Égypte, en passant par le Liban ou la Syrie, ne sont pas interchangeables. Mais l’écroulement de régimes autoritaires (en Irak et en Égypte), ou leur affaiblissement (en Syrie), semble avoir accentué l’inquiétude des minorités.
Ces régimes, qui pouvaient donner l’illusion de protéger le pluralisme religieux, ont en effet longtemps été perçus comme un moindre mal par les chrétiens. Dans cette marche incertaine vers la démocratie, les Églises doivent aujourd’hui composer avec la montée d’un islam politique très influent.
« SEULE LA PLEINE CITOYENNETÉ GARANTIRA L’AVENIR DES CHRÉTIENS »
Pour autant, « les prévisions d’un “hiver islamiste” semblent avoir été exagérées », avance Antoine Fleyfel, professeur de théologie à l’Université catholique de Lille. S’il juge « compréhensible » l’essor de mouvances politiques islamistes – ces dernières ayant été opprimées par les dictatures –, ce chercheur estime que ces groupes ne sont pas les seuls acteurs du changement : de nombreux musulmans nourrissent des aspirations démocratiques.
Et c’est à leurs côtés que les patriarches doivent encourager leurs fidèles à « s’engager dans les causes arabes », au sein des structures politiques existantes : « Seule la pleine citoyenneté garantira leur avenir », souligne-t-il. Cette prise de conscience explique leur vigilance quant au contenu des nouvelles Constitutions, censées garantir l’égalité des citoyens. Pour le P. Bouwen, la pire attitude serait de rester « spectateurs » de ces débats, au risque « de ne pas compter dans le futur ». Antoine Fleyfel parle, lui, d’une « tentation minoritaire ». Il n’est pas anodin qu’à peine élu le nouveau pape copte ait pris soin de déclarer : « Je suis un citoyen égyptien ». « En disant cela, analyse la spécialiste de l’Église copte Christine Chaillot, ce patriarche de 61 ans a mis le doigt sur l’essentiel ; rappeler le rôle des chrétiens en tant que citoyens de la société égyptienne, ayant des droits égaux à ceux des musulmans. Même son prédécesseur ne s’était jamais exprimé aussi directement. »
« ÉCARTER LES DISCOURS DE PEUR »
Derrière ces transitions politiques, c’est bien le défi de la coexistence islamo-chrétienne qui se pose. « Les populations sont fatiguées des conflits violents, veut croire Mgr Gollnisch. Si l’économie repart, il y a fort à parier que des groupes se lèveront pour promouvoir une vraie convivialité entre les religions, telle qu’on l’a vue place Tahrir lors de la révolution égyptienne. »
De telles expériences de dialogue entre chrétiens et musulmans modérés émaillent déjà le monde arabe. Il cite l’exemple de l’université Saint-Joseph de Beyrouth, ou encore le projet d’une académie de sciences humaines impliquant les deux confessions, à Bagdad.
Passeurs, les chrétiens ne le seront pleinement qu’en réformant leurs propres structures, considère cependant l’historien Sébastien de Courtois : « Sur cette génération reposent de grandes décisions : actualiser la pensée théologique, redéfinir le rôle du prêtre dans la société, favoriser l’émergence d’un laïcat… »
Certains observateurs déplorent en effet « l’archaïsme des structures » des Églises d’Orient, source de paralysie face à ces défis, de même que le manque de synergie entre orthodoxes et catholiques, voire entre catholiques… À en croire Antoine Fleyfel, ce n’est qu’au prix de « réformes de fond » que les chrétiens trouveront l’audace d’« écarter les discours de peur » au sein du monde arabe.
François-Xavier Maigre
La Croix
03.01.2013
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