Les schismes des Églises orientales ne cessent de surprendre par leurs subtilités. Ils perdurent dans les textes, les esprits et les espaces, mais aussi dans la pierre. Si la partition confessionnelle du Saint Sépulcre étonne le touriste non avisé, la visite de la cathédrale de saint Nicolas à Sidon (Liban) provoque la stupéfaction des croyants.
Un mur en pierre taillée jouxte la droite de l’iconostase de la cathédrale grecque orthodoxe de saint Nicolas à Sidon. Un mur, qui ne paye pas de mine, même s’il est décoré d’icônes. Il cache pourtant… la partie catholique de la cathédrale depuis longtemps abandonnée. Ce mur est ainsi le symbole puissant d’un schisme qui a donné naissance à l’Église grecque catholique en 1724. Il incarne les subtilités des divisions des Églises orientales, dans un sanctuaire qui serait la trace la plus ancienne du christianisme au Liban. Effectivement, selon la tradition, la cathédrale actuelle – datant du VIIIe siècle – aurait été bâtie sur les ruines d’une ancienne église que saint Paul aurait visitée en allant de Jérusalem à Antioche.
Une ancienne histoire
Il n’est pas facile de trouver son chemin vers l’ancienne cathédrale. Elle est située dans l’ancien souk de Sidon, encombré et non accessible aux voitures. Les entrées des deux parties de l’édifice sont séparées par plus de trente mètres de souk qu’il faut traverser ; et si l’accès au côté orthodoxe est indiqué, il est nécessaire de s’informer auprès des marchands pour connaître l’emplacement de l’entrée catholique. La cathédrale est tellement encastrée dans les habitations et les boutiques, qu’une infime partie seulement transparaît vers l’extérieur.
Les fidèles des deux communautés ont des points de vue plutôt convergents. Tous manquent d’informations précises sur les débuts de cette querelle qui leur paraît très ancienne. Mais tous espèrent que le mur disparaîtra. Georges (orthodoxe) souhaite la réalisation d’une unité véritable qui « ne dépend malheureusement pas de nous, mais des autorités ecclésiastiques. Nous souhaitons la destruction du mur comme il en a été avec celui de Berlin. Les prêtres devraient nous écouter : nous le peuple voulons la paix, l’unité, la charité, le pardon. Si cela n’en tenait qu’à nous, nous aurions dès à présent démoli le mur. Mais il y a les hiérarchies ecclésiastiques, et la question du mur ne se réduit pas à la pierre, elle évoque le dogme. Cela nous dépasse ». Joseph (catholique) va dans le même sens en disant que le mur divise la religion : « À Sidon, les chrétiens sont très peu nombreux, et la destruction du mur dont j’ignore les origines nous donnera de la force. Distinguer et séparer est un signe de fanatisme, ce que nous devons rejeter en nous unissant ».
Certains fidèles, comme Nadia rencontrée à la porte de la nouvelle cathédrale grecque catholique, ignorent l’existence d’un côté catholique dans l’ancienne cathédrale. D’autres comme Nizar, ne s’y sont jamais rendus.
Mais que s’est-il vraiment passé à cet endroit il y a presque trois siècles ? C’est en 1724 qu’éclate le conflit entre les chrétiens de la ville de Sidon, lorsque l’évêque Aftimos Saïfi et nombre de fidèles quittent l’Église orthodoxe antiochienne et rejoignent la communion catholique. La cathédrale fut le témoin principal de la querelle qui a bien duré, puisqu’elle était le seul sanctuaire disponible dans la région. Il a fallu que l’Empire ottoman intervienne pour trouver une solution à ce différend. Un décret impérial datant du 5 novembre 1819, ordonne la division de l’édifice en deux parties, un tiers pour les grecs orthodoxes et deux tiers pour les grecs catholiques, politiquement plus puissants. Ainsi, on édifie un mur qui isole le bruit et qui sépare les frères d’antan. L’architecture de l’église se trouve défigurée par cette modification, notamment l’autel qui se situait en son milieu et qui a dû être déplacé, et l’iconostase qui a dû être démolie.
En 1895, la communauté grecque catholique se déplace vers une nouvelle cathédrale – qui porte le même nom que l’ancienne ! – et qui est située à quelques centaines de mètres. Cette dernière ne suffisait plus au nombre croissant des fidèles de la communauté et ne s’utilisait que lors des grandes célébrations de l’année. Désaffecté durant plusieurs années, le côté catholique est actuellement en cours de restauration par la « fondation Hariri », dans le cadre d’un projet culturel et touristique.
Schisme ou diversité ?
Les fidèles des deux communautés trouvent que le mur est une entrave à leur témoignage chrétien, et qu’il est parfois un signe de discrimination et de manque de charité. Nancy (orthodoxe) proteste énergiquement en disant qu’il « est bien temps de détruire ce mur parce que l’unité est une nécessité. Je ne suis pas du tout fanatique, mais il y a des gens fanatiques qui nous regardent d’un œil discriminant parce que nous sommes orthodoxes. Oui, il est vrai que nous sommes très attachés à notre doctrine orthodoxe, mais il est très important que ce mur se détruise parce que le Christ n’a pas dit à ses fils : tu es maronite, tu es orthodoxe, tu es catholique ! ». Emile (catholique) dit dans le même sillage que « ce mur n’aurait jamais dû exister, parce que Dieu nous a donné l’unité, et parce que nous confessons tous le même Christ, maronites, orthodoxes et catholiques. Ce qui nous sépare n’est pas une question de foi, mais des mesures ecclésiastiques ».
C’est en s’adressant aux responsables ecclésiaux que les divergences se manifestent de manière flagrante. Fady, diacre de la cathédrale orthodoxe, rappelle que son Église considère la construction de ce mur comme un schisme. Il trouve que les initiatives sont lentes, et que la volonté de destruction du mur ne dépasse jamais le stade des paroles. Cependant, « même si cela se fait, il faut que les murs qui sont dans les cœurs soient détruits aussi, ces murs qui sont sources de faiblesse dans le témoignage ». Quant au père Joseph, curé de la cathédrale Saint Nicolas, il prend un ton plus dur que son diacre en disant : « Nous divisons cet endroit qui est supposé être le symbole de notre unité en Christ ! ». Il rappelle que plusieurs propositions ont été faites pour la disparition de ce mur, notamment celle de l’enlever et de faire de manière à ce que l’Église ne soit la propriété de personne. De la sorte les deux communautés organiseront leurs temps de prière. Il n’y a pas eu d’échos positifs à ce sujet du côté catholique. Le curé se consterne et ajoute : « Quel n’a été le choc des orthodoxes lorsqu’ils ont appris que cet endroit allait être transformé en musée ecclésial. C’est un lieu sacré dédié à la prière et non à l’exposition. C’est la première fois qu’on apprend au Liban qu’une église se transforme en musée ». Et enfin, le prêtre orthodoxe évoque les pourparlers avec le côté catholique : « À chaque fois que nous leur demandons pourquoi ce mur n’est pas détruit, nous obtenons la même réponse : il s’agit d’un symbole pour l’Église grecque catholique, parce qu’en 1724, c’est ici que tout a commencé ».
Symbole
Père Jihad, curé de la cathédrale grecque-catholique, confirme les dires de son homologue orthodoxe : « Le mur est un symbole, non seulement de séparation, mais aussi de la fondation d’une Église, il y a trois siècles ». À l’encontre de l’avis du diacre Fady, le prêtre melkite trouve qu’il n’y pas d’obstacle qui sépare les catholiques et les orthodoxes, « car ce mur nous l’avons détruit dans nos cœurs et dans nos esprits depuis longtemps ». Cependant, le mur de la cathédrale témoigne à son sens d’une époque passée dont il faudrait oublier l’aspect polémique. Mais comme histoire et archéologie, le mur « est important pour nous, parce qu’il témoigne de la fondation du premier ordre monastique des grecs catholiques ». Et le curé de dire explicitement : « Nous ne sommes pas très intéressés par la destruction du mur, et nous ne comprenons pas la division de la cathédrale en deux comme une blessure, mais comme un symbole historique et archéologique qui raconte l’histoire de la naissance de notre Église ». Père Jihad craint que la destruction du mur mène à l’oubli de cette histoire.
Récemment, l’évêque grec orthodoxe de la région, Élias Kfoury, a dit que le nouvel évêque grec catholique, Élie Haddad, lui a promis, lors de leur première réunion qui a eu lieu dans la cathédrale, de réunifier l’édifice. Haddad affirme de son côté que des pourparlers ont lieu avec Kfoury dans le but de résoudre le problème en détruisant au moins, une partie du mur. L’installation d’une porte qui s’ouvrirait durant certaines occasions ou célébrations communes est l’une des solutions qu’envisage l’évêque grec catholique.
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