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Diplomatie vaticane et chrétiens d’Orient, Iris, 24.05.2011

Cet article a paru le 24.05.2011 sur le site Internet de L’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS)

Le Saint-Siège mène, sous le pontificat de Benoît XVI, une action diplomatique évidente en faveur des chrétiens d’Orient. Comprendre cette action passe par un examen de la nature de la diplomatie vaticane en général, et par un recours à certains écrits et activités pontificaux récents. La subtilité d’une telle diplomatie réside surtout dans le fait que des actes pastoraux et spirituels revêtent un caractère politique.

1- Pastorale et politique
      Le pape unit en sa personne trois fonctions différentes : il est primat de l’Église catholique, monarque absolu de l’État du Vatican et évêque du Saint-Siège. Cependant, même si cette même personne jouit de ces trois pouvoirs, il est nécessaire de distinguer l’Église catholique du Saint-Siège et de l’État de la Cité du Vatican.
      Si l’Église catholique est la communauté des baptisés ayant comme pasteur suprême l’évêque de Rome, le Saint-Siège est l’incarnation du pouvoir spirituel de cette Église, de la souveraineté abstraite qu’a le pape sur tous les catholiques du monde. Quant à l’État de la Cité du Vatican, créé à la suite des accords du Latran, il est le support territorial du Saint-Siège, sa représentation temporelle. Il existe pour lui assurer une indépendance réelle et visible dans son gouvernement de l’Église universelle et dans ses activités.
      Cependant, ce n’est pas avec l’État du Vatican que les États entretiennent des liens diplomatiques, mais avec le Saint-Siège qui est sujet souverain de droit international, qui siège au sein de certaines organisations internationales et qui possède à l’Organisation des Nations unies (ONU) le statut d’observateur permanent. Tous les ambassadeurs des États sont accrédités près le Saint-Siège, et non auprès de l’État de la Cité du Vatican.
       La négociation internationale menée par l’Église catholique est l’activité diplomatique du Saint-Siège. Toutefois, l’activité de cette diplomatie est d’une nature différente que celle des activités diplomatiques des États : les nonces apostoliques sont avant tout les représentants de l’Église catholique, le Saint-Siège n’est pas une puissance temporelle ou géopolitique, mais une puissance spirituelle et morale, et ses motivations principales sont la protection des chrétiens, notamment des catholiques, et la promotion des valeurs de la justice, de la paix et des droits de l’homme.
2- Jean Paul II, pèlerin en terre d’Orient
      La cause des chrétiens d’Orient fait partie des combats majeurs du Saint-Siège. À la fin du XXe siècle, cela était évident sous le pontificat de Jean-Paul II, qui a visité la Terre Sainte, et qui a insisté sur la nécessité de trouver l’équilibre entre de bonnes relations avec les juifs et Israël (en raison surtout de l’intérêt pour les Lieux Saints), et la promotion de l’entente islamo-chrétienne (facteur incontournable pour la présence chrétienne en Orient). En outre, le pape polonais a manifesté un attachement particulier au Liban. Celui-ci avait été la cause d’un grand malaise au Vatican dans les années 1970 puisque la seule puissance catholique au Moyen-Orient, les maronites, s’étaient engagés dans une guerre qui avait pu être très facilement interprétée sous le signe de l’hostilité vis-à-vis de l’islam. Cela nuisait aux rêves de la papauté voulant faire du Liban, identifié avec l’avenir des chrétiens orientaux, un modèle de convivialité pour les autres pays de la région, et rendait les maronites impopulaires parmi les musulmans, ce qui aggravait le danger d’un islamisme montant, très dangereux aux yeux du Vatican pour l’avenir des chrétiens orientaux.
        C’est dans le cadre de ces éléments historiques qu’il convient de comprendre l’Exhortation Apostolique de Jean-Paul II, « Une espérance nouvelle pour le Liban » (1997), qui considère les chrétiens du Liban comme la clef de voute et la condition sine qua non de tout redressement possible du christianisme moyen-oriental. Beaucoup d’éléments de ce document s’inscrivent d’une manière évidente dans le cadre des grands traits de la diplomatie du Saint-Siège qui seront traités derechef par Benoît XVI, à savoir : les dialogues œcuménique et interreligieux, le dialogue de vie entre les religions dans un cadre social et moral, les droits de l’homme et la liberté de conscience, le combat de l’émigration et la mise en garde contre tout extrémisme. Tout en délivrant un message essentiellement pastoral, Jean-Paul II ouvre tout un horizon politique à son activité spirituelle.
3 – De Jean Paul II à Benoît XVI, la continuité de l’engagement
Le pèlerinage en Terre Sainte (8-15 mai 2009)
      Les débuts du pontificat de Benoît XVI sont marqués par des évènements qui ont été interprétés comme des erreurs diplomatiques : le discours de Ratisbonne (septembre 2006) qui a suscité de vives réactions politiques et religieuses dans le monde musulman, et la réhabilitation de l’évêque intégriste négationniste Williamson (janvier 2009) qui a heurté le monde juif.
      La visite du pape en Terre Sainte (Jordanie, Territoires Palestiniens, Israël), du 8 au 15 mai 2009 est bien liée à ces deux évènements. Elle pourrait être considérée comme une clarification majeure, voire un rappel des positions du Saint-Siège aux endroits de l’islam et des musulmans, du judaïsme et des juifs. Cependant, c’est dans le cadre d’un apaisement du monde musulman et de l’État d’Israël, et d’un rappel des positions du Saint-Siège en faveur de la cause palestinienne, que le pape mène avec la plus grande prudence diplomatique un pèlerinage qui a comme but principal l’appui des chrétiens d’Orient.
      Cette visite complexe qui a duré huit jours s’est effectuée dans une ambiance de tensions plus vives que celles qui existaient lors de la visite de Jean-Paul II en 2000. Même si le pape donnait à sa visite un sens spirituel, la dimension politique était inévitable : «Chaque journée, chaque geste, chaque rencontre et chaque visite : tout aura une connotation politique», disait Fouad Twal, le patriarche latin de Jérusalem.
      Dans son entretien aux journalistes, accordé au cours de son vol en direction de la Terre Sainte le 8 mai 2009, Benoît XVI rappelait le caractère de l’action diplomatique du Saint-Siège, fondement de son appui pour les chrétiens d’Orient : « Je cherche certainement à contribuer à la paix non en tant qu’individu mais au nom de l’Église catholique, du Saint-Siège. Nous ne sommes pas un pouvoir politique, mais une force spirituelle et cette force spirituelle est une réalité qui peut contribuer aux progrès du processus de paix ». Et d’ajouter, afin de souligner le but essentiel de son pèlerinage : « Nous voulons surtout encourager les chrétiens en Terre Sainte et dans tout le Moyen-Orient à rester, à apporter leur contribution dans leurs pays d’origine »[1]. C’est dans ces perspectives que trois messages politiques majeurs peuvent être relevés lors cette visite :
1- Rassurer le judaïsme et l’État d’Israël sur le fait que le Saint-Siège ne professe aucune forme d’antisémitisme et s’y oppose.
2- Tourner définitivement la page de Ratisbonne et approfondir les relations avec les musulmans.
3- Plaider en faveur de la solution des deux États.
       Insister à plusieurs reprises sur ces trois positionnements politiques crée les conditions nécessaires pour appuyer les chrétiens d’Orient. Benoît XVI insistera durant ce voyage, sur leur présence en Terre Sainte, et sur les difficultés qu’affrontent ceux qui habitent toujours dans les endroits les plus sacrés du christianisme. Le Saint-Siège cherche effectivement, depuis l’établissement des liens diplomatiques avec Israël en décembre 1993, à avoir un libre accès aux Lieux Saints et la possibilité d’y agir pastoralement, sans limitations ni empêchements. De plus, le pape souligne le fait que la construction du « mur de sécurité » a causé la détérioration de la situation des chrétiens à Bethléem et aux alentours, et que l’immigration, sur fond économique, ne cesse de s’aggraver : il y a toutes les semaines des familles qui immigrent en Amérique, ce qui fait que les chrétiens représentent moins de 15% des habitants de Bethléem[2]. Face à cette situation alarmante, Benoît XVI consacre la part du lion de son voyage à consolider les communautés chrétiennes en Jordanie, dans le Territoire palestinien et en Israël. Il n’est pas question de déserter cette terre, de démissionner de la société ou de quitter le Moyen-Orient, puisque le christianisme a toujours un rôle majeur à y jouer, notamment entre les juifs et les musulmans, et un témoignage à rendre sur cette région des origines.
Le Synode pour le Moyen-Orient
     Benoît XVI annonce durant son voyage à Chypre (4-6 juin 2010), qu’il « représente, sous de nombreux aspects, la continuation du voyage […] accompli l’an dernier en Terre Sainte ». Même s’il déclare ne pas venir avec un message politique, mais religieux et prônant l’ouverture à la paix, le pape rappelle le rôle diplomatique du Saint-Siège en disant : « Nous pouvons également aider à travers les conseils politiques et stratégiques, mais le travail essentiel du Vatican est toujours d’ordre religieux, touche le cœur »[3]. L’un des objectifs principaux de ce voyage est la remise de l’Instrumentum laboris du Synode des évêques pour le Moyen-Orient. Sans s’étendre sur les détails de ce document, soulignons les éléments qui mettent en lumière le sujet de cet article :
1- L’implication personnelle du pape pour les chrétiens d’Orient et pour le renouveau de leurs Églises.
2- L’insistance sur les dialogues œcuménique et interreligieux.
3- Le rappel que les chrétiens sont des « citoyens indigènes » qui participent à la formation de l’identité culturelle de leurs pays.
4- La proposition d’une « laïcité positive » et le rejet du repliement sur soi et de la peur.
5- La question démographique liée à l’immigration et l’encouragement des familles nombreuses.
6- La liberté de religion (culte) et de conscience (choix de religion) sont des droits humains inaliénables qui ont comme cadre idéal la société démocratique.
7- La mise en garde contre l’islamisme et la violence qu’il suppose.
8- Le rappel de la position du Saint-Siège sur la solution des deux États.
9- L’avenir du Moyen-Orient est la responsabilité commune des chrétiens et des musulmans.
10- Le chrétien pourrait avoir une contribution spéciale pour la résolution du conflit israélo-palestinien. Par le dialogue, il peut jouer le rôle de pont entre les juifs et les musulmans. Malgré leur petit nombre, les chrétiens peuvent devenir une présence qui compte.
      La lecture des propositions finales (Propositionum) de l’Assemblée des évêques n’ajoutent pas grand-chose à ce que dit l’Instrumentum laboris. L’essentiel de ce qui a été dit et écrit depuis 2006, en Turquie, en Jordanie, en Palestine, en Israël et à Chypre est repris, mais reformulé et contextualisé par l’Assemblée des évêques moyen-orientaux. Cependant, il est difficile de séparer le pastoral du politique, car si certaines propositions relèvent de considérations « spirituelles » pures (la parole de Dieu ou la liturgie par exemple), d’autres propositions débouchent clairement sur des questions aux horizons politiques (les droits de l’homme ou la forme de l’État). Cela souligne encore une fois la subtilité de l’action diplomatique du Saint-Siège où tout acte « spirituel » échappe difficilement à la dimension politique. En voulant encourager les chrétiens d’Orient, et en les raffermissant dans leur foi, le Saint-Siège pose forcément un acte politique majeur qui suppose au moins la résistance à l’affaiblissement des chrétiens d’Orient et leur disparition, et au plus, un redressement de ce christianisme qui fait de lui un facteur de vie indispensable dans tous les pays arabes où il existe.
      Les Propositionum montrent à quel point le Synode des évêques pour le Moyen-Orient dépend de la politique internationale que le Saint-Siège pratique depuis plusieurs décennies. Celle-ci insiste surtout sur l’attachement à la terre, sur les droits de l’homme et sur les dialogues œcuménique et interreligieux.
Conclusion

Il n’y a pas de doute que le Saint-Siège joue un rôle majeur en faveur des chrétiens du Moyen-Orient. Cependant, au vu des mutations très rapides et peu favorables à ces chrétiens durant ces dernières décennies, une question fondamentale ne cesse de s’imposer à tout observateur averti de cette région du monde : est-ce que la diplomatie vaticane et les efforts des communautés locales, pourraient occasionner un véritable renouveau du christianisme oriental, ou du moins, une stabilisation de certains acquis positifs que ces communautés possèdent encore aux endroits de la culture, de la politique, de l’économie ou de la démographie ? Les années à venir seraient probablement porteuses de réponses qu’une multitude d’hommes et de femmes espèrent positives.

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