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Chrétiens d’Orient : le paradoxe libanais, Témoignage chrétien, 14.10.2010

Tous les christianismes moyen-orientaux antiques et un certain nombre d’Églises occidentales sont représentés au Liban. Cela fait du Pays des Cèdres une terre qui possède l’une des plus grandes densités œcuméniques au monde.

Les querelles dogmatiques – notamment christologiques – plus que millénaires, sources des plus grandes divisions entre les chrétiens durant des siècles, sont aujourd’hui dépassées. Pour autant, les relations entre les différentes Églises demeurent complexes. Trois ecclésiastiques locaux, Mansour Labaky (1), Paul Rouhana (2) et Gabriel Hachem (3) nous ont aidés à y voir plus clair.

PÂQUES

Sur le plan pastoral et humain, la diversité chrétienne au Liban est vécue positivement. Le brassage entre communautés est très fort, notamment grâce aux écoles et aux mariages mixtes. Depuis la guerre du Liban, on parle d’un « camp chrétien », solidaire face à plusieurs défis communs sur les plans social, politique et culturel.

« Il est de la plus grande importance, explique Paul Rouhana, de développer l’œcuménisme pastoral. Toutes nos Églises sont apostoliques, elles ont beaucoup de choses en commun : le sacerdoce, la Bible, la liturgie… On vit ensemble sur cette terre. »

Mansour Labaky assure dans le même esprit « qu’au quotidien, il n’y a aucune différence entre les chrétiens ». La logique des systèmes ecclésiastiques, en revanche, réaffirme régulièrement les distinctions. Pour peu que le dialogue théologique et le droit canonique stagnent, les croyants, qui ignorent les raisons des divisions ecclésiales et les « boucheries théologiques », selon l’expression de Mansour Labaky, peuvent donc se retrouver en porte-à-faux.

Le besoin d’une pastorale œcuménique concrète du mariage et de la catéchèse se fait particulièrement sentir. Paul Rouhana évoque aussi un problème emblématique qui scandalise beaucoup de chrétiens locaux : la date de la fête de Pâques, différente selon les calendriers retenus par les Églises :

« À la suite de Vatican II, les catholiques orientaux ont théoriquement le droit de décider de fêter Pâques en même temps que les autres chrétiens. Malheureusement, depuis 45 ans, rien n’a été fait en ce sens. Le blocage est patent. Il n’y aurait pourtant pas de mal à ce que les catholiques fêtent Pâques en même temps que les orthodoxes. Le christianisme libanais aurait besoin de quelques initiatives de ce genre. »

Gabriel Hachem souligne lui aussi l’importance de l’œcuménisme pastoral et rappelle qu’un « niveau très intéressant concernant les protocoles pastoraux a été atteint. Le dernier a été signé en 1996 ( les accords de Charfeh (4) ) et portait sur les mariages mixtes, sur le catéchisme œcuménique commun et sur l’identité confessionnelle des enfants. » Depuis… rien.

Sur le plan théologique, les Églises du Liban « sont d’abord des petites entités qui dépendent d’autres Églises mondiales », précise Paul Rouhana. Elles ne peuvent que répercuter des décisions qui sont prises à un niveau supérieur. Leur principale contribution au dialogue œcuménique se manifeste par la présence de théologiens libanais au sein de certaines commissions théologiques internationales.

Gabriel Hachem évoque certaines initiatives locales, comme les échanges de professeurs, de bases de données de bibliothèques et de revues entre les facultés de théologie. Les Églises orientales catholiques sont quant à elles pour l’essentiel soumises aux décisions romaines.

Le Conseil des Églises au Moyen-Orient (CEMO), la seule instance œcuménique au monde dont l’Église catholique est pleinement membre, souffre par ailleurs de problèmes financiers, structurels et spirituels, ce qui ne facilite pas les choses. Gabriel Hachem rappelle que lorsque ce Conseil a été fondé en 1974, « l’espoir était qu’on puisse s’engager à un niveau local dans un dialogue théologique œcuménique qui contribuerait au progrès du dialogue international ».

Un espoir déçu, apparemment. Car si le mouvement œcuménique semble avancer rapidement au niveau des rencontres et de ce qu’on appelle le « dialogue de charité », les freins s’enclenchent très vite lorsqu’on aborde les questions doctrinales : « C’est à ce moment-là qu’on a tendance à se replier sur son identité confessionnelle, et c’est là qu’on a l’impression qu’il y a une stagnation œcuménique. »

Entre rencontre concrète allant de soi et rapports théologiques limités, les Églises du Liban vivent donc une situation paradoxale. Le temps des concessions au service du « ministère de l’unité » ne serait-il pas venu ? Gabriel Hachem s’avoue sceptique : « Les chefs des Églises ne sont pas prêts à ce genre de démarche qui exige beaucoup de courage. »

MARONITES

L’Église maronite (catholique) est le partenaire principal de toutes les Églises au Liban, non seulement parce que le plus grand nombre de chrétiens libanais sont maronites, mais aussi en raison du grand rôle politique qu’elle continue de jouer. Si elle ne fournit pas actuellement de contribution significative dans le cadre du dialogue théologique œcuménique, elle essaie tout de même de repenser sa situation à la lumière des défis qu’affrontent ensemble tous les chrétiens libanais.

Ces défis se résument surtout à des mutations religieuses souvent inquiétantes et à des problèmes d’émigration chrétienne accélérée, d’économie et d’instabilité politique. Deux grands événements incarnent la réflexion qu’a entamée l’Église maronite ces deux dernières décennies : le Synode pour le Liban qui a été réuni à son initiative et qui s’est clôturé par l’Exhortation apostolique pour le Liban de Jean-Paul II en 1997, et le Synode patriarcal maronite (5) en 2006.

« L’Exhortation apostolique pour le Liban, analyse Paul Rouhana, incarne une prise de conscience après la guerre. Il fallait tendre la main aux musulmans. Le Synode s’inscrit dans cette ligne. »

Ces deux événements rendent les « chrétiens du Liban beaucoup plus fort lorsqu’ils parlent. On sent qu’il y a un discours qui commence à s’entendre chez eux, un discours de rationalité, un discours de réalisme, un discours d’acceptation de l’autre, de dialogue et de convivialité ». Gabriel Hachem salue lui aussi l’entreprise synodale mais s’interroge sur sa réception concrète, aussi bien par le clergé que par la population en général.

PROPHÈTES

Les Églises du Liban sauront-elles s’impliquer d’avantage dans une entreprise œcuménique et interreligieuse audacieuse qui inaugurerait une nouvelle ère de présence et de témoignage ? C’est l’une des grandes questions du moment. Les chrétiens orientaux et les assemblées qui se réunissent ces temps-ci savent qu’il leur faudra y répondre. Reste un autre problème, bien réel, que souligne Paul Rouhana : « Il n’y a plus de figures charismatiques susceptibles de porter efficacement ces idées. » Et Mansour Labaky de confirmer : « Nous n’avons plus de prophètes maronites.»

 

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1. Chorévèque maronite, auteur de plus de 200 hymnes chantées par tous les chrétiens orientaux à travers le monde et fondateur de plusieurs associations religieuses, dont Lo Tedhal.

2. Moine maronite, spécialiste en œcuménisme et doyen de la Faculté Pontificale de Théologie à l’Université Saint-Esprit de Kaslik.

3. Prêtre grec-catholique, spécialiste en œcuménisme et responsable au Conseil des Églises du Moyen-Orient.

4. « Accord catholique-orthodoxe sur trois questions pastorales importantes (Charfeh, 1996) », Les lieux de communion, Jean Corbon, éd. Cerf, 2009, p. 637-648.

5. Site web du Synode : http://www.maronitesynod.com

Antoine Fleyfel

14.10.2010

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