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Que tu me donnes de t’aimer de mon intérieur, 08.10.2007

Back to the old days, lorsque adolescent, j’assistais aux réunions de jeunesse chrétienne à « Church of God » à Achrafieh. La situation minoritaire des évangéliques au Liban crée chez eux un lien de solidarité et d’enthousiasme particuliers que les grandes confessions connaissent rarement dans leurs paroisses.

Il y avait ce chant que je chérissais, et que, malgré la distance existant entre le Seigneur et moi alors, je savourais en chantant. Les jours ont passé, et j’ai perdu ce chant de vue, lorsque, 16 ans plus tard, je retombe dessus : nos retrouvailles ressemblent à celles d’amoureux séparés. Et si j’aimais ce chant pour sa mélodie touchante, c’est encore plus pour ses paroles que cette redécouverte s’est faite passionnée. Une phrase m’a particulièrement touché : « que tu me donnes de t’aimer de mon intérieur (ou de mon dedans) ».

Et c’est là que la question se pose : à quoi ressemblerait un amour extérieur du Seigneur ? En y pensant, il serait possible de dire qu’aimer le Seigneur de l’extérieur consiste à l’aimer en religion. Celle-ci porte des signes objectifs et ostentatoires qui montrent l’attachement d’aucuns et leur dévouement ou leur amour pour leur religion, institution divine par excellence. Cet amour extérieur se manifesterait par un port de croix, par l’assistance à la messe ou par n’importe quelle autre forme de prière liturgique ; cet amour extérieur consisterait en une obéissance aux autorités religieuses, à un zèle pour la défense des dogmes et de différents enseignements ; elle peut même être une certaine forme d’adoration à des hiérarques considérés détenir le pouvoir divin ; elle pourrait être aussi une parole de jugement des autres, exclusion de tous ceux qui ne s’inscrivent pas dans la même lignée de foi ou de pensée… L’amour extérieur de Dieu est encens, icône, musique, ornement, droit, livre, loi…

Je crois que dans une certaine mesure, et malgré les dommages qu’il puisse causer pour le monde de la foi, cet amour de Dieu extérieur est utile, car autant voudrions nous nous plonger dans une intériorité avec Dieu, l’organisation extérieure et l’objectivation de la foi restent nécessaires. Christ même s’est inscrit dans une religion objective en lisant l’Écriture dans la synagogue et en l’interprétant ; n’a-t-il pas rempli les exigences rituelles de la Loi au Temple ? À penser dans une logique dichotomique et grecque et l’être humain, nous pourrions dire que le corps et l’Esprit ont besoin l’un de l’autre pour pouvoir exister.

Mais que le Seigneur « me donne de l’aimer de l’intérieur » est tout à fait différent. Et si cet amour peut être perçu comme une approfondissement de l’amour extérieur, il peut aussi être éprouvé comme une libération de celui-ci. Face à cet amour intérieur du Seigneur, l’amour extérieur parait banal, à la limite du futile. Aimer le Seigneur de l’intérieur implique une démarche tout à fait différente. Car l’amour extérieur est humain, surtout que l’effort nécessaire pour porter une croix, pour se diriger le dimanche à l’église, ou pour se faire l’apologète des dernières encycliques papales, est un effort à la portée de tout humain désirant s’inscrire dans ce système religieux. Même un incroyant, bon comédien, pourrait le faire en pieuses apparences. Alors que l’amour intérieur est un don de Dieu. Le chant le dit : « que tu me donnes ».

Trois moments se succédant sont à distinguer :

Le premier moment est celui de la possibilité de ce don. Dieu nous a aimé avant que nous l’aimions, il nous a choisi avant que nous le choisissions. Il est la source du don et de la vie… Ce ne sont pas nous qui l’avions aimé en premier, mais c’est lui qui nous a aimé, avant de nous créer, lorsqu’il nous a pensé, depuis toute éternité, et nous a conçu dans notre histoire personnelle. Si jamais j’ai la possibilité de désirer le don de Dieu, c’est parce qu’avant mon désir de recevoir, il est la source du désir.

Le deuxième moment est celui de l’attitude de la décision de réception. La décision personnelle du croyant est un pôle essentiel : il choisit, librement (puisque s’inscrivant dans la Vérité de Dieu) de se rendre apte à recevoir, et il sait que dans son incapacité d’amour, et même de réception, la grâce divine le comble par son don. Et puisqu’on ne peut donner qu’à celui qui est capable de recevoir, il faut un cœur enclin à l’inhabitation de l’amour divin, un cœur capable de recevoir. Et pour recevoir cet amour divin, ce cœur devrait se vider, car avec son trop-plein du monde, il ne pourra pas accueillir le don de Dieu. Ce vide doit être celui d’un détachement de toute authenticité de soi recherchée en dehors de Dieu, et même si cette authenticité existe dans l’amour extérieur de Dieu. Ce cœur doit se vider de tout amour du monde et de soi, de tout amour et attachement extérieur, religieux ou pas. C’est dans le vide de nos cœurs, dans la pauvreté de nos esprits, que le Seigneur fait sa demeure.

Le troisième moment est un moment où le cœur du croyant se renouvelle par l’amour de Dieu. Son amour n’a plus ses assises dans le monde, mais en Dieu. Aimer Dieu « de l’intérieur » consiste à aimer Dieu à partir de Dieu, et non à partir de l’idée de Dieu, fréquente trop fréquente dans l’histoire des religions, judéo-chrétiennes ou autres… Aimer Dieu de l’intérieur consiste à  aimer le monde à partir de l’amour de Dieu, celui qui s’est manifesté sur la Croix, celui du don total de soi, et de la confiance infinie en le Père. Aimer Dieu de l’intérieur est un oubli en lui, par une louange existentiel, chant d’amour continuel entre le Créateur et la créature. Aimer Dieu c’est faire ses œuvres selon ce qu’il nous a montré par sa révélation historique en Christ, des œuvres de pardon, des œuvres de miséricorde, des œuvres de compassion, des œuvres de salut pour les hommes.

L’amour intérieur de Dieu est la force du croyant, l’essence de sa foi. Il est ce don gratuit et cette énergie à partir de laquelle il agit. Vaine est toute prétention de foi qui ne prend pas source en elle, car autant spectaculaire qu’elle puisse être, elle ne pourra jamais se démarquer du théâtral. Et au lieu d’essayer de rechercher un intériorité quelconque à partir de l’idée de Dieu, ou d’un amour de Dieu extérieur, l’amour intérieur de Dieu façonne toute l’existence du croyant, qui est désormais une réelle existence eschatologique, vivant dès le moment dans le présent de Dieu.

Cet amour intérieur reflète sur toute la vie du croyant qui n’a plus besoin de justificatifs extérieurs, et qui n’est plus soumis aux jugements des hommes, car personne ne juge les élus de Dieu … Nonobstant, cet amour intérieur, en plus d’être doux et disponible est humble. Il évite tout exclusivisme de foi et tout dogmatisme. Il ne prétend jamais à la vérité bien qu’il sache où elle est : il s’incline devant son mystère qui le dépasse. Il sait que Dieu agit par toutes ses créatures, et qu’aucune forme sociale, religieuse ou intellectuelle ne peut le contenir seule ou le cerner. L’amour de Dieu qui est intérieur dépasse toute médiation humaine, et aime les hommes à partir de Dieu, et Dieu à partir d’une confiance filiale indéfectible.

Ô Dieu Père de Jésus Christ,

Donne-moi de manifester ta croix dans ma vie plutôt que d’en porter une autour de mon cou,

Donne-moi de vivre ton amour plutôt que de répéter d’inlassables discours de charité,

Donne-moi de te voir, principe d’unité de ton Église, plutôt que de souligner la vérité d’une de tes Églises, et l’erreur des autres.

Que tu me donnes d’être chant de toi avant de te chanter,

Que tu me donnes d’être parole de toi avant de te parler,

Que tu me donnes d’être prière de toi avant de te prier,

Que tu me donnes de t’aimer de mon intérieur, comme je ne t’ai jamais aimé…

Antoine Fleyfel

08.10.2007

anniversaire de mes 31 ans

2 comments to Que tu me donnes de t’aimer de mon intérieur, 08.10.2007

  • armand marie colette

    c’est très beau …merci de nous le partager Ton élève qui a découvert Spinoza et qui s’est mise à l’aimer

    m colette

  • Antoine Fleyfel

    Merci beaucoup Marie Colette et bienvenue dans le monde passionnant de Spinoza…
    Et merci de m’avoir rappelé ce texte écrit il y a bien longtemps, dans un style que je reconnais désormais à peine…
    Au plaisir de se revoir.
    Amitiés

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