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Compte rendu de Perspectives & Réflexion, Ines Zebdi, Les clés du Moyen-Orient

Perspectives et réflexions N°2-2014, Œuvres d’Orient, Les chrétiens de France au service des chrétiens d’Orient, Ouvrage co-écrit par Georges Corm, Mouchir Aoun, Gabriel Hachem, Bernard Heyberger, Michel Younes, Georges Massouh, mars 2014.
Article publié le 10/07/2014 sur le site www.lesclesdumoyenorient.com

Compte rendu de Ines Zebdi

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« Œuvres d’Orient : les chrétiens de France au service des chrétiens d’Orient » est le deuxième numéro de la revue Perspectives et Réflexions, publiée pour la première fois en avril 2013. Six auteurs ont participé à l’écriture cet ouvrage consacré aux relations entre les chrétiens d’Orient et le monde arabe et occidental, à leurs liens avec l’islam et à la dimension œcuménique.


Le premier article, écrit par Georges Corm, s’intitule « Quels horizons pour la présence chrétienne en Syrie ? ». L’auteur, ancien ministre des Finances de la République libanaise entre 1998 et 2000 et professeur à l’Université Saint Joseph de Beyrouth, livre une analyse historique et actuelle de l’enjeu de la présence chrétienne en Syrie.

Les chrétiens représentent aujourd’hui 7 à 8% de la population syrienne, ce qui est en proportion très inférieur à la situation libanaise, mais en valeur absolue, les deux populations sont équivalentes, aux alentours de 1,5 million de personnes.

Lorsque la Syrie se convertit au christianisme sous l’Empire romain, de nombreuses tensions confessionnelles apparaissent. Ces querelles vont faciliter la conquête du pays par les Arabes qui feront de Damas la capitale des Omeyyades en 661. Les chrétiens et les musulmans vivent alors en communauté, les chrétiens ont toujours été bien intégrés dans la société ; ils ont notamment participé à la lutte pour l’indépendance du pays à la suite de la Seconde Guerre mondiale. L’auteur pose alors la question de l’identité même de ces chrétiens : sont-ils des « chrétiens de Syrie », ou des « Syriens chrétiens » ? Il cite le père Jean Corbon [1], qui parle plutôt d’un christianisme arabe en général, lequel existe dans un même milieu culturel, géographique et socio-économique. Il ne faudrait plus alors considérer ce que l’on nomme « la question d’Orient » comme des majorités musulmanes opprimant des minorités chrétiennes, mais plutôt l’envisager sous l’angle de l’instrumentalisation des sociétés minoritaires par les Européens dans l’Empire ottoman avant qu’il ne disparaisse. L’Occident a eu de fait une influence dans la région, notamment en Syrie et Liban, placés sous mandat français après les accords Sykes-Picot. La présence française au Liban a été assez marquante, alors qu’en Syrie, elle a été plus marginale, ou du moins s’est manifestée différemment. La France a joué la carte chrétienne au Liban, alors qu’en Syrie, elle a plutôt misé sur les minorités alaouites. Même si les communautés chrétiennes des deux pays ne sont pas si différentes, leur place dans la société n’est pas la même. En Syrie, les chrétiens se sont mieux fondus dans la population, l’université est unique et publique, si bien qu’il n’y a pas de communautarisme au niveau de l’éducation, et il n’y a pas non plus de répartition communautaire des fonctions publiques. La société syrienne connaît un point de rupture au moment de l’arrivée du parti Baas au pouvoir, puis lors de sa monopolisation par la famille Assad dans les années 1970, qui donne naissance à un mouvement de communautarisme. Beaucoup de chrétiens syriens vont alors émigrer face à l’ampleur que prend le parti Baas dans le pays.

Lorsque les révoltes éclatent en Syrie en 2011, les chrétiens vont se retrouver dans une situation délicate. On observe une instrumentalisation des identités communautaires (pseudo-alliance entre alaouites et chrétiens face à la majorité sunnite), laquelle cache en fait des enjeux de puissance qui n’ont rien à voir avec la religion, comme le rappelle l’auteur, mais qui consacrent un affrontement géopolitique majeur dans la région. Les chrétiens payent de plus en plus le prix d’une discrimination qui n’existait pas auparavant. George Corm préconise un plus grand rapprochement de toutes les Églises du Levant, et des Églises arabes en général, avec les Églises européennes et américaines. Il faudrait faire de la diversité ethnique et religieuse au Proche-Orient un rempart et une force face au fanatisme religieux, et ne plus laisser des puissances régionales ou internationales instrumentaliser cette diversité à des fins « profanes », géopolitiques. Avec le déclin de la présence chrétienne au Levant et en Syrie notamment, c’est ce pluralisme ethnique et religieux qui est en péril.

Le second article, intitulé « Le malaise de l’identité brisée : Epreuves et traumatismes de l’inconscient arabe collectif », a été rédigé par Mouchir Aoun, philosophe franco-libanais et professeur d’histoire de la philosophie allemande et d’herméneutique à l’Université libanaise de Beyrouth.

Cet article s’inscrit dans la continuité de son étude « Le réveil identitaire arabe et le destin du christianisme oriental contemporain » parue dans le premier numéro de la revue, et esquisse « les grandes lignes d’une réflexion critique sur la condition d’existence individuelle et collective des chrétiens d’Orient ». Selon Mouchir Aoun, les chrétiens sont dans une situation de non-transparence vis-à-vis de leur propre histoire. Ils seraient victimes d’une certaine schizophrénie, d’une ambiguïté identitaire structurelle, tiraillés entre l’arabité, au sens ethnique et culturel du terme, et le christianisme dans ses différentes formes d’expression culturelle. Lorsque l’islam s’est répandu dans la péninsule arabique, l’arabité est apparue comme le vecteur exclusif de cette religion naissante, et les chrétiens savaient alors qu’une assimilation à l’arabité entraînerait une « confrontation » avec l’islam. L’auteur explique que les chances de réussite de la « greffe » du christianisme arabe dépendent des capacités de l’islam à s’ouvrir à cela. Même si un dialogue entre les élites existe, les relations entre islam et christianisme dans la région ont souvent été conflictuelles. Selon l’auteur, les chrétiens sont aujourd’hui « au seuil de la phase ultime de leur survie dans le monde arabe » : ils leur faut dénoncer un islam intégriste dont ils pâtissent, et ils doivent s’impliquer pleinement dans le redressement du monde arabe, mais ils ne peuvent le faire seuls.

La déception ressentie par les chrétiens s’explique d’une part par une islamisation massive en Orient, et d’autre part par la colonisation par l’Occident, tout au long de l’histoire, alors même que l’Occident ignore la cause des communautés chrétiennes orientales, aujourd’hui sur le déclin. Durant la colonisation, ces minorités chrétiennes furent un prétexte d’ingérence, et les musulmans ont vu en elles des alliés de l’Occident, ce qui aurait développé une sorte de « paranoïa collective » et de complexe d’infériorité démographique chez les chrétiens d’Orient. Ils savent que leur sort dépend de ce que le monde arabe fera de la modernité, qui semble être leur voie de salut, mais les sociétés arabes se trouvent aujourd’hui aux prises avec le fanatisme religieux. Les chrétiens se doivent de promouvoir un esprit d’ouverture et de communion multiconfessionnelle, mais ils craignent de se heurter à une majorité intolérante, et de disparaître. Ils aspirent à la modernité, mais appréhendent de s’y aventurer seuls, leur seul espoir étant une nouvelle ère de promotion de la cause de l’homme arabe libre.

Les chrétiens se sentent dépendants des intérêts géopolitiques des grandes puissances, et voient leur destin scellé dans un monde arabe qu’ils ont pourtant défendu. Souvent propulsés hors de la sphère politique, ils savent que leur présence relève parfois du miracle. Pourtant, l’auteur refuse de conclure sur une disparition certaine des chrétiens d’Orient, même si leur survie dépend de la dynamique visible et invisible des agents qui participent à la reconfiguration du monde arabe.

« L’avenir de la présence chrétienne au Moyen-Orient : une perspective œcuménique » est le troisième article de l’ouvrage, écrit par Gabriel Hachem. Ce prêtre grec-melkite catholique, professeur d’ecclésiologie et d’œcuménisme à l’Université Saint-Esprit de Kaslik, au Liban, insiste sur la nécessité de l’œcuménisme dans la région, et illustre ses propos par l’expérience du Conseil des Églises du Moyen-Orient (CEMO).

L’auteur part de trois remarques pour asseoir son raisonnement : il faut prendre en compte les relations entre toutes les communautés chrétiennes ; la présence juive et musulmane dans la région place les chrétiens face au défi de la pluralité ; enfin, les événements au Moyen-Orient ne sont pas dirigés contre eux, mais ils en subissent les conséquences. Le CEMO regroupe toutes les familles de chrétiens orientaux, et a permis de promouvoir l’esprit œcuménique dans la région. De l’Empire Ottoman à l’application de la sharia dans certains pays, beaucoup de chrétiens d’Orient ont été poussés à l’émigration, ce qui a considérablement diminué leur nombre dans la région.

Gabriel Hachem rappelle l’actualité de la présence chrétienne et ses défis dans le monde arabe, qu’il analyse selon trois axes. Il aborde dans un premier axe la situation des chrétiens dans les pays musulmans du Golfe, où les chrétiens sont souvent étrangers au monde arabe, venant de pays asiatiques, européens ou américains. Souvent privés de service pastoral, ils ne peuvent pas pratiquer leur religion en public. Selon l’auteur, la reconnaissance de la liberté religieuse dans ces pays devient une nécessité. Dans le deuxième axe, la région du croissant fertile est analysée, excepté au Liban. Les chrétiens sont une minorité, mais ils peuvent exercer leur foi librement, même s’ils sont parfois soumis à certaines restrictions concernant les métiers de l’armée et la fonction publique. Dans les pays concernés, les chrétiens, souvent très attachés à leur patrie, nouent des liens solides avec les musulmans et les juifs et il faut souligner que la cohésion sociale qui existe aujourd’hui entre les trois monothéismes dans cette région est unique au monde. A l’origine de courants politiques, les chrétiens ont joué un rôle important dans les réformes culturelles, sociales et politiques, et ils doivent perpétuer cet effort d’enracinement.
L’auteur s’arrête ensuite sur dans son troisième axe sur le cas particulier du Liban, où la coexistence entre chrétiens et musulmans est sans équivalent et où les chrétiens sont des partenaires nationaux, même si cette cohésion nationale peut paraître ébranlée depuis la guerre civile. Le système confessionnel en place, qui autorise les chefs religieux à entrer en politique, permet de rassurer les fidèles de chaque communauté, mais selon l’auteur il faudrait dépasser cet esprit purement confessionnel au profit d’une procédure plus démocratique. Le CEMO permet de créer un lien entre tous ces chrétiens, et une relation entre les représentants régionaux et nationaux, mais n’ayant pas été suffisamment utilisé comme intermédiaire entre les Églises, il connaît une crise depuis quelque temps. Pourtant, l’auteur rappelle que l’avenir des chrétiens dans la région tient à l’existence d’une vision œcuménique, qui devrait être portée par le Conseil des Églises du Moyen-Orient chargé d’assurer la communion entre les Églises locales, lesquelles incluent toutes les catégories de la population. Gabriel Hachem prône également une communion au niveau international, telle qu’amorcée avec la création du Forum chrétien mondial à laquelle une délégation moyen-orientale a participé. Le dialogue interreligieux devrait également jouer un rôle plus important dans cette région du monde, où le fondement abrahamique des trois monothéismes rend leur cohabitation exceptionnelle et leur forge un avenir commun malgré les obstacles. Les Conseils d’Églises seraient la clé de l’avenir des chrétiens dans cette région, et l’auteur ajoute que pour les renforcer, il conviendrait d’y intégrer davantage de laïcs, de jeunes et de femmes.

Le quatrième article s’intitule « Les chrétiens orientaux et l’Occident ». Il est écrit par Bernard Heyberger, directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et à l’Ecole pratique des Hautes Etudes en sciences religieuses.

Ces relations entre chrétiens d’Orient et Occident qui reposeraient beaucoup sur le rapport à la modernité, sont décrites par l’auteur dans une étude qui appuie les influences de l’Occident sur l’identité chrétienne orientale. En Orient, les chrétiens sont souvent les premiers à avoir été au contact de l’Occident, et même si leur culture orientale n’a pas été effacée, on leur reproche parfois d’être « occidentalisés ». Pourtant, les chrétiens partagent souvent les discours antioccidentaux que peuvent tenir leurs compatriotes musulmans. La relation à l’Occident remonte au XVIème siècle, où la papauté a sollicité les Eglises orientales. Suite à cela, beaucoup de chrétiens sont allés étudier dans les grandes universités italiennes, et au fil du temps une immigration chrétienne orientale s’est formée à travers l’Europe, Paris devenant la capitale des opposants politiques au sultan ottoman à la fin du XIXème siècle. Ces intellectuels joueront un rôle important dans la diffusion de la culture occidentale en Orient et du nationalisme arabe.

Depuis le XVIIIème siècle, les puissances européennes prennent en charge la protection des chrétiens d’Orient, comme la France le fera en envoyant un corps expéditionnaire afin d’assurer la protection des chrétiens ottomans. Une francophonie et une francophilie se développe et aboutira à un mandat français au Liban et en Syrie à la fin du premier conflit mondial. Très tôt, les Occidentaux ont ressenti le besoin de connaître et découvrir l’Orient, et les chrétiens orientaux installés en Occident sont de précieux intermédiaires dans ces recherches. Beaucoup de documents arabes ont servi à la culture (philosophie, mathématiques…), mais on découvre aussi qu’il y a un lien très fort entre la langue arabe et l’islam, ce qui pose une question d’identité aussi aux chrétiens. La civilisation occidentale et la civilisation arabo-islamique sont souvent mises en opposition comme un rapport entre modernité et tradition, qui n’apparaissait pas impossible auparavant. Pourtant, cette question de la modernité se pose très tôt aux chrétiens d’Orient en contact avec l’Occident et ceux-ci ont cherché des compromis entre la modernité et leurs traditions, ce qui provoqua des conflits comme au niveau de la pratique des rites religieux par exemple.

A partir de 1860, une « conscience critique d’une identité orientale » se répand avec l’idée que tout n’est pas positif ou négatif dans l’Occident et qu’il faut savoir faire un choix. Cette identité se renforce avec des intellectuels qui rappellent les caractéristiques de l’Orient, les valeurs arabes sur lesquelles il faut se développer. Ce qui apparaît paradoxal est que ces intellectuels se basent sur des écrits occidentaux pour appuyer leur propos propres à l’Orient, tels que les travaux de Gustave Le Bon, qui avait l’idée que les peuples ont un caractère propre à leur « race ». Les chrétiens ont participé à la lutte pour l’indépendance des pays de la région, et ont souvent exprimer la volonté de s’émanciper de Rome et de l’Occident, pour s’enraciner dans les sociétés arabes.

Le malaise qui existe actuellement au Proche Orient ne les pousse pas non plus à se rapprocher de l’Occident, et beaucoup de chrétiens d’Orient ne comprennent pas la politique menée par les puissances occidentales en ce qui concerne le conflit en Syrie. Selon l’auteur, les chrétiens d’Orient seraient finalement plus proches des musulmans que des chrétiens d’Occident : au fondamentalisme religieux, ils répondent par un fondamentalisme également, et ne comprennent pas forcément la politique européenne en matière de religions et de minorités. Au temps de la colonisation, les Européens ont appris à s’adapter aux sociétés qu’ils dominaient et à les connaître. Réciproquement, dominés ne sont pas restés passifs, et ont répondu parfois sous forme de mimétisme. Admettre ces relations entre Orient et Occident pourraient permettre selon l’auteur un débat plus serein entre les deux entités.

Michel Younes, franco-libanais, professeur de théologie et directeur du Centre d’Etudes des Cultures des Religions de l’Université catholique de Lyon, signe un article intitulé « La vocation des chrétiens d’Orient dans leur rapport à l’islam et aux musulmans ».

La situation actuelle au Proche-Orient place les chrétiens au cœur d’un certain nombre de débats et d’enjeux. Ayant autrefois le statut de minorité, gage de stabilité, ils sont aujourd’hui quelquefois assimilés à des « étrangers », dans un contexte de fanatisme religieux grandissant, et cela a poussé beaucoup d’entre eux à émigrer. L’auteur, s’interrogeant sur la vocation des chrétiens dans leur rapport à l’islam, cherche à savoir ce qui permettrait de rompre le repli sur soi des chrétiens, et se demande si l’appui des chrétiens d’Occident ou des chrétiens d’Orient vivant en Occident ne pourrait pas transformer le rapport entre chrétiens et musulmans.

Pour répondre à ces questions, Michel Younes procède en cinq étapes : après une relecture des événements dans un contexte marqué par « l’exaspération du fondamentalisme », il dresse un état de la situation des chrétiens d’Orient, présente les ressources dont disposent les musulmans pour lutter contre le fanatisme, puis il examine le rôle des chrétiens à partir de leur ancrage historique et de leur vocation théologique, enfin il définit les conditions qui permettraient de conjuguer une réforme interne chez les musulmans et l’exercice de la vocation évangélique chez les chrétiens afin de garantir leur vivre-ensemble. L’auteur relève que le fondamentalisme religieux touche quasiment toutes les régions marquées par l’islam, en quête d’identité, depuis les années 1990. Il rappelle les signes avant-coureurs observés tout au long du XXème siècle dans la région, comme la création des Frères musulmans, l’avènement du parti Baas, la création de l’Etat d’Israël, le choc pétrolier, la révolution iranienne, etc. Dans la région, le nombre de musulmans a considérablement augmenté, alors même que la proportion des chrétiens a diminué, même si leur nombre a quelque peu progressé. Dans tous les pays, les chrétiens ont à un moment ou à un autre pris position dans la vie politique aux côtés des musulmans, et aujourd’hui, la montée de l’islam politique (sauf en Terre Sainte) les inquiète. Selon l’auteur, ni les chrétiens, ni l’action politique de l’Occident ne peuvent à eux seuls endiguer l’islamisme : c’est aux musulmans eux-mêmes qu’il revient d’y faire face, en puisant dans leurs ressources. Pour Michel Younes, la clé de la lutte contre ce fondamentalisme réside dans la diversité interne à l’islam, qu’elle concerne l’interprétation du Coran, les approches juridiques ou les positions vis-à-vis des autres religions, car toutes les lectures ne sont pas aussi rigoristes. L’islam est aujourd’hui en proie à des tensions internes et il pourrait bénéficier de l’expérience d’altérité propre à la tradition chrétienne, l’œcuménisme ayant permis la reconnaissance d’une diversité interne. Les musulmans ont recherché l’unité avec la vision de l’Oumma, mais pour l’auteur, cette unité paraît illusoire. L’expérience des chrétiens d’Orient ayant vécu en Occident peut également être un levier pour l’islam et les musulmans, et un soutien pour les chrétiens d’Orient. Leur engagement permettrait de faire obstacle au « fanatisme religieux rigide et exclusiviste », qui est une menace pour tous.

Selon Michel Younes, une réalité nouvelle est possible, pour autant que chrétiens et musulmans se mobilisent, et à deux conditions : l’une politique, le partage du pouvoir, signe d’égalité citoyenne ; l’autre éducative, l’éducation à la différence étant fondamentale. L’auteur voit par exemple dans la fête islamo-chrétienne de l’Annonciation célébrée chaque année au Liban un signe d’espoir. Il conclut en rappelant que la présence des chrétiens aux côtés des musulmans peut être porteuse de salut. En effet, malgré les crises douloureuses, ils ont vocation à vivre, pas seulement à survivre, et ils représentent un gage d’ouverture face à la montée du fondamentalisme. Partageant la même culture, ils sont la preuve que l’altérité n’est pas forcément synonyme de menace extérieure. Michel Younes conclut que si l’islam veut pouvoir assumer la modernité, les musulmans doivent prendre conscience que la survie des chrétiens d’Orient est vitale.

Le dernier article intitulé « Lecture du statut des chrétiens sous le régime islamique » est écrit par Georges Massouh, prêtre grec-orthodoxe et directeur du Centre d’études islamo-chrétiennes à l’Université de Balamand à Tripoli, au Liban. L’auteur livre une étude de la notion de citoyenneté dans un État islamique ainsi que des relations entre islam et nationalismes arabes, en se fondant sur de nombreux exemples d’écrits de penseurs islamistes.

Dans les sociétés musulmanes, la citoyenneté a toujours été l’objet de débats. La dhimmitude, c’est-à-dire le statut de ceux qui sont protégés par l’État islamique, trouve son origine dans le verset du Coran de la gizya, qui signifie la soumission des non-musulmans à la Loi islamique. Après la chute de l’Empire ottoman, la fin du califat islamique, et l’apparition de l’État national, certains penseurs religieux ont admis l’idée de citoyenneté, se montrant favorables à ce que chrétiens et juifs soient considérés comme des citoyens. Mustafa Mashhur, Guide Suprême des Frères musulmans, affirme que tout musulman ou chrétien est « fils de la patrie », et doit avoir les mêmes chances d’accession aux fonctions publiques. Pourtant, cette citoyenneté apparaît limitée, notamment lorsqu’il s’agit des postes politiques et administratifs auxquels peuvent accéder les non-musulmans dans un État islamique. En réalité, les « ministères de plein pouvoir », qui marquent directement l’identité et la nature islamique de l’État, sont le plus souvent réservés aux musulmans. Fadlullah par exemple, s’exprimant sur le statut des chrétiens dans un potentiel État islamique au Liban, précise que les postes miliaires et législatifs ne seraient pas ouverts aux chrétiens, incapables de légiférer sur la Loi islamique. C’est donc une citoyenneté tronquée qui se dessine. La notion de nationalisme fait également débat, notamment en ce qui concerne la relation à l’islam et la place des chrétiens. Pour l’Égyptien Youssouf al-Qaradi, les musulmans ne doivent pas se concentrer sur le lien patriotique et le sentiment national, mais sur la religion. Le panarabisme est toléré dans sa doctrine, mais seulement comme une étape permettant d’arriver à une unité islamique in fine. Al-Ghazali pour sa part dénonce le nationalisme comme un produit du colonialisme occidental qui rappellerait les croisades, et si sentiments nationalistes il y a, ils ne peuvent pas être dissociés de l’islam et de la Loi islamique. Pour Sa’id Hawwa, Syrien leader des Frères musulmans dans les années 1970-80, les non-musulmans doivent s’adapter, car les musulmans n’abandonneront jamais l’islam. Tout ce qui touche à l’État moderne, c’est-à-dire la citoyenneté, la démocratie, est rejeté, et les islamistes voient dans la violence un moyen d’éradiquer ces principes « anti-islamiques », comme l’affirme Sayyid Qutb. Certains reviennent sur la notion même de « citoyenneté », en la rejetant comme impossible car « les gens du livre » et les musulmans ne seraient pas égaux.

L’unité nationale serait un moyen pour les autres religions, et notamment les chrétiens dans le cas de l’Orient, d’accéder à une égalité citoyenne avec les musulmans. On voit cette tension actuellement à l’œuvre dans la pensée islamique, tiraillée entre la mise en place de la Sharia et l’adoption d’un État constitutionnel et démocratique. Les réponses islamistes, modérées ou extrémistes, mettent en relief les ambiguïtés propres à cette problématique, même dans les pays où certains défendent la citoyenneté et l’égalité. L’Égyptien d’origine néerlandaise Christian van Nisspen soulève un autre point important : dans les pays où les musulmans sont majoritaires, ils ont le droit d’appliquer le programme qu’ils souhaitent, comme le fait un parti majoritaire dans n’importe quel régime démocratique. L’auteur conclut donc sur la singularité de la question de la citoyenneté dans la pensée islamiste et sur les aspects contradictoires qu’elle peut y revêtir.

Cet ouvrage collectif apporte un éclairage instructif sur la situation des chrétiens en Orient. Les auteurs abordent cette problématique en la replaçant dans son contexte historique, théorique, théologique et politique. Bien que minoritaires dans les pays musulmans, les chrétiens sont une pièce importante sur l’échiquier des conflits et des enjeux qui agitent actuellement le monde arabe.

[1Jean Corbon, L’Église des Arabes, Éditions du Cerf, Paris, 2007.

La théologie naturelle et la connaissance existentielle de Dieu : la problématique de la révélation dans la théologie de Rudolf Bultmann, in Al-Mahajja, 27, 2013, p. 125-136.

Nouvel article scientifique paru en langue arabe dans la revue Al-Mahajja :

اللاهوت الطبيعي ومعرفة الله الوجودية. إشكالية الوحي في لاهوت رودولف بولتمان

Al Mahajja

Pour lire l’article en format Pdf, cliquer sur le lien suivant :

La théologie naturelle et la connaissance existentielle de Dieu : la problématique de la révélation dans la théologie de Rudolf Bultmann, in Al-Mahajja, 27, 2013, p. 125-136.

Antoine Fleyfel, Éditorial, Perspectives & Réflexions, Œuvre d’Orient, n° 1, 2013

Éditorial

 

J’ai le plaisir de présenter à nos lecteurs, le premier numéro de la nouvelle publication annuelle de l’Œuvre d’Orient, Perspectives & Réflexions. Cette revue d’études académiques vient combler un vide dans le contexte français où nulle revue universitaire ne se consacre entièrement aux problématiques relatives aux chrétiens d’Orient. Perspective & Réflexion a effectivement comme objectif l’étude de ces problématiques à partir d’angles divers, notamment historiques, théologiques et géopolitiques.

Pour cette année, eu égard aux événements et bouleversements ayant lieu au sein du monde arabe, nous avons décidé de donner à ce fascicule une tournure géopolitique. Ainsi, plusieurs analyses de fond livreront au lecteur des analyses approfondies de la situation des chrétiens d’Orient dans le contexte arabe et proche-oriental.

L’article de Herman Teule nous informera de la situation actuelle des chrétiens d’Irak, et de la question de leur place dans la société. La lecture de Christian Cannuyer soulignera le défi historique auquel fait face l’Église copte après l’élection de son nouveau pape, pour l’édification d’une Égypte plus juste et citoyenne. Mon article évoquera les tendances laïques et citoyennes dans la pensée chrétienne libanaise. Ces tendances se situent actuellement au centre des revendications des chrétiens arabes. Mouchir Aoun nous livrera une analyse globale du réveil identitaire arabe mis en relation avec le destin du christianisme oriental contemporain. Il s’agit là du premier volet d’une réflexion que nous entendons publier dans les prochains numéros. Christian Lochon évoquera une problématique très peu soulevée présentement, mais combien chargée d’histoire, celle des chrétiens de Turquie, derniers Ottomans non musulmans. Enfin, il nous a paru opportun d’élargir le champ d’étude, grâce à Antoine Arjakovsky, vers une chrétienté orientale qui dépasse les limites du Proche-Orient et où existe une problématique géopolitique faisant matière pour une théologie du politique en Russie, Ukraine et Bélarus. Rappelons que le contexte de l’Ukraine n’est guère étranger à l’Œuvre d’Orient, puisqu’elle y agit depuis longtemps.

Le lecteur averti de ce fascicule s’étonnera probablement de l’absence d’un article portant sur la Syrie et ses chrétiens, pourtant au centre de l’actualité depuis deux ans. L’état présent des événements ainsi que ses horizons brumeux nous empêchent de nous aventurer dans la commande d’une étude portant sur une situation toujours difficile à cerner et en continuel changement. Ainsi, il nous paraît plus judicieux de retarder la parution d’une telle analyse, espérant que notre prochain numéro se versera à l’étude d’un dénouement heureux de la crise syrienne.

J’adresse finalement toute ma gratitude à l’Œuvre d’Orient, à son directeur général Mgr Pascal Gollnish, à sa directrice de communication Catherine Baumont et à tous ceux qui ont permis à ce projet de voir le jour. Nous adressons de même tous nos remerciements aux professeurs qui ont bien voulu écrire pour notre revue, et l’enrichir par leurs réflexions.

Plaise à Dieu que les chrétiens d’Orient soient, où qu’ils existent, des témoins de la Lumière, des artisans de paix, des promoteurs de dialogue et des travailleurs inlassables au service de l’homme, tout homme !

Antoine Fleyfel

Rédacteur en chef

Recension de la “Théologie contextuelle arabe” dans LTP par Fadi Abdel-Nour

Cliquer ici pour lire la recension en version PDF

Georges Corm: Arabs Stuck in a Guantanamo of Thought, Al-Akhbar, 24.01.2012

Georges Corm (b. 1940) is a Lebanese economist and financial expert who specializes in the Middle East and Mediterranean countries. He studied constitutional law and economics at the University of Paris and graduated from the Political Science Institute in Paris (Sciences Po).

Corm served as finance minister in the 1998-2000 Salim Hoss cabinet. He is a professor at St. Joseph University in Beirut and taught previously at the Lebanese University and the American University of Beirut.

His publications include many studies and a number of books and articles in Arabic, English, and French including East-West: An Imaginary Divide, Contemporary Lebanon: History and Society, The Question of Religion in the 21st Century for which he won the Phénix Award andHistory of the Middle East From Antiquity to the Present Day.

-Antoine Fleyfel (AF): Geopolitics is present in most of your work, can you define it for us?

-Georges Corm (GC): Geopolitics is a compound word meaning: an approach to situations that are often conflictual in nature having to do with the geographical location of a nation-state and with the essence of its body politic. It combines, therefore, a geographical approach with a political approach.

-AF: What can this approach add to an understanding of the Arab world and its problems?

-GC: I see developments in the Arab world as connected to the geographical conditions of the Arab region, in addition to Iran and Turkey – if we adopt the idea of a “Middle East.”

The region has three features that elicit foreign intervention. One, it is the birthplace of the three monotheistic religions that have spread globally. Two, it has a strategic location. And three, it has a lot of oil which is coveted by the big and rich colonial powers.

There is another problem. Unlike the Turks and the Ottomans, the Arabs, after the decline of the Abbasid Dynasty (750-1258), no longer played a role in the political history of the world. The Persians and the Turks became masters of the region.

When the Ottoman Empire collapsed, Arab societies felt orphaned after they had been used to living in the shadow of the Muslim caliphate. These societies lacked any experience in self-rule.

In addition, Arabs were divided between British and French colonial rule and the Zionist entity was planted in the heart of the Arab world dividing the Arab east from the Arab west.

The Arabs became dispersed and fragmented after the end of the Nasserist era which had united Arabs at one point. Each Arab country allied itself with an external power instead of forming an alliance among Arab regimes.

As such, the Arab region witnessed a power vacuum which attracted at the time the Soviet Union and the United States. After the collapse of the USSR, Iran emerged as a significant regional power hostile to the US, while divisions among Arab regimes persisted.

Now we are witnessing the rise of Turkish power. It is not clear whether this rise is part of an agreement with the US whereby Turkey acts as as a proxy for US interests, or whether it is a self-propelled movement of Turkish society.

-AF: Is there a link between philosophy or philosophical methodology and geopolitics?

-GC: The link is direct and fundamental but unfortunately, most specialists in International Politics and International Relations seldom give adequate attention to the role that the philosophical understanding of the world plays in shaping policies of world powers.

Often, colonialism and settlements hide behind noble goals that are philosophical in nature. When Europeans invaded the world, it was in the name of people’s religious enlightenment, so they would be exposed to Christianity.

In the 19th century, conquest was carried out in the name of civilization, to help people whose civilizations were not advanced. Marxist thought also contributed to supporting this kind of philosophical rationale. Karl Marx believed that “backward” countries needed to open up to modern capitalism in order to hasten the process of transformation from a bourgeois capitalist system to a proletariat socialist system.

We have two philosophical sources, Hegel and Marx, and together they rationalized colonial campaigns. Lately, we’ve had the neoconservatives in the US like Ronald Reagan and George W. Bush who invaded Iraq in the name of democracy.

Philosophical rationales deployed by countries that wage wars of conquest need to be deconstructed because such endeavors always require some kind of philosophical or religious justification.

-AF: What are the major components of your thought?

-GC: I wanted to address two complementary issues. First, my studies in Paris made me keenly aware of the European claim that, unlike other people, they possess wisdom, philosophy, and humanism. I was shocked by this kind of narcissism among European nations. That long road led me to write my book Europe and the Myth of the West: The Construction of a History.

Second, as I dove deeper into contemporary Arab culture, it became clear to me the extent to which it is dependent on Western thought. Also, we, as Arabs, lack knowledge of Chinese thought or Indian thought or the philosophies of non-Western civilizations.

We are sort of locked in a face-to-face encounter with the West – Europe and the US – that puts us in a kind of prison, an intellectual Guantanamo of sorts. Because the idea of philosophical independence, advocated by our friend Nassif Nassar, for example, has no momentum in the Arab world.

Even Islamist movements which are supposed to represent the most hard-line positions are in the end a product of a pathological relationship with Western philosophy and a Western world-view.

What do we see among the Arab intellectual elite? Either complete prostration before the Western cognitive view of the world or a kind of hysterical rejection of it. There is indeed a state of subordination to the Western system of thought in the Arab world.

I have been calling for an end to this state of dependence and subordination in order to establish an Arab cognitive system of knowledge that takes into consideration our history and builds an epistemological system on it.

For example, the most important question that no one has explored is, why did the rule of the Arabs or Arab power end? As long as we do not have an answer to this question, we cannot build a better future. How did Arab conquests that built Muslim civilization end up with the Arabs locked out of history?

Since the destabilization of the Ottoman Empire in the last century, Arabs have faced an identity crisis between adherence to a religious legacy and entering secular history.

The battle still rages at the heart of the Arab revolutions which we are witnessing today. They can be summed up as a competition between the concept of a civil secular state and a state governed by religious authority.

-AF: Since we brought up this issue, how do you read the problem of secularism and sectarianism in Lebanon?

-GC: I believe that Lebanon played a pioneering role in the 19th century especially after the sectarian massacres that awakened the Lebanese mind. But the Mutasarrifiyya system which governed Mount Lebanon after the sectarian massacres established political sectarianism for the first time in Lebanon’s history.

Then the French mandate established sects as intermediary entities between citizens and the state in public law. After that, the national reconciliation document in the Taif Agreement tried to refine sectarianism by reformulating it in a more balanced way among the sects.

We are still prisoners of a sectarian culture and it is a devastating culture because it makes the Arab individual look at the world through a religious, sectarian prism instead of a secular one.

When the Lebanese Civil War began in 1975, the Palestinian cause was the central issue. The war therefore should not have turned into a Muslim-Christian conflict. If it were presented in the right way, it would not have fed sectarian sensibilities, because what was being contested was the armed Palestinian presence in Lebanon.

It is sad to say that the side which had declared war on the armed Palestinian groups back then is ready today for a permanent settlement of Palestinian refugees in Lebanon. They are also ready for the entire Western-Saudi or “moderate Arab” approach to the Palestinian cause.

I have always argued that we often lose what we gain through resistance, when this resistance takes on a religious character.

The Palestinian cause is not about religion, it is about occupation and colonization. If Buddhists happened to colonize Palestine, they would have faced fierce resistance. Even if Turkish or Iranian Muslims occupied Palestine, I think the Palestinians would have risen up.

Reducing the Palestinian cause to a religious struggle undermines the achievements made through resistance.

-AF: What are the prospects of the Arab Spring in your opinion?

-GC: There is no doubt that major historical events took place that are self-generated. The Arab people did not revolt because of a foreign conspiracy as some would like to argue.

Nevertheless, Western superpowers were quickly struck by a new colonial fever. They were aided by the conservative forces hostile to political modernity and human freedom, which we used to call the Arab reactionary forces in the past.

The Turks also entered the scene presenting an Islamist model as a guide to the Arab revolutions. This of course will alienate these revolutions and we have seen painful results in Libya, Syria, and Yemen. It remains to be seen how far the revolutions in Egypt and Tunisia will go.

In any case, revolutions come in circles and a revolutionary circle opened up in the Arab world. But it is hard to predict where it will end up.

I always say the French Revolution broke out in 1789 and bore its final fruit a century later, when the third republic was established, monarchical rule ended, and republican principles were secured.

The revolutionary cycle takes a long time and it is not a magical wand that changes everything all at once. I think we are at the beginning of the road.

Falling into religious and sectarian discussions is bad publicity for the revolutions. Viewing what happened in Bahrain, Syria, and Yemen from a sectarian prism is wrong.

Analyzing in the absence of an independent and philosophical thought system is a pathology. We analyze according to the tools and style of Western propaganda, the Western academy, and Western media, and we do so from a sectarian point of view.

A few months before invading Iraq, the US started to spread the view that the issue in Iraq is that a Sunni minority persecuted a Shia majority. The similarly simplistic way in which the situation in Syria is being depicted today is highly regrettable and will lead to doom and disaster.

We should abandon analysis based strictly on viewing Arab people as religious and sectarian beings. Let’s examine the real factors on the ground, such as issues of corruption, social justice, and the rentier economy that perpetuates tyrannical regimes.

The path of democracy indicates that democracy relies on destroying the rentier economy. And unfortunately, most Arab economies are rentier economies.

Antoine Fleyfel

Al-Akhbar, 24.01.2012