Le patrimoine des chrétiens d’Orient et le monde arabe
Éditorial du n. 5/2017
De l’encens, des bougies et des iconostases de type byzantin ; des ornements liturgiques « exotiques », des langues qui rappellent l’aube du christianisme et une multitude d’Églises dont la complexité échappe souvent aux amoureux de ce christianisme. Il n’est pas rare que ces « clichés » soient évoqués lorsqu’il est question de parler des chrétiens d’Orient.
Cependant, la contribution civilisationnelle de ces derniers dépasse de loin ces simples lieux, car il est impossible de comprendre la culture arabe dans toute son étendue, et surtout (supprimer à) sa genèse, sans se pencher sur le patrimoine chrétien oriental. Celui-ci est déterminant à bien des égards, que ce soit sur le plan de la religion musulmane et son livre sacré, des sciences, de l’architecture, de l’économie, de la politique, de l’art, de la mystique ou des relations avec l’Occident.
Sans la langue syriaque par exemple, il est impossible de comprendre d’une manière pertinente du vocabulaire coranique et même l’évolution des lettres de l’alphabet arabe. Sans l’architecture des édifices syriaques antiques, il est impossible de saisir une partie de l’origine de l’architecture des mosquées et de leurs minarets. Sans la contribution scientifique et linguistique des savants chrétiens, syriaques, byzantins, coptes ou « nestoriens », il est impossible de comprendre la richesse et la grandeur de plus d’un califat musulman, notamment celui des Abbassides.
Parler donc du patrimoine des chrétiens d’Orient implique l’évocation d’un élément clef de la culture arabe, une dimension qui n’appartient pas aux communautés chrétiennes seules, mais au patrimoine de l’humanité ! Évoquer cet héritage rappelle la richesse de la rencontre des cultures et des civilisations, une rencontre qui est parfois positive, et qui produit à ce titre beaucoup de grandeur et de profondeur humaine. L’islam politique, quant à lui, veut faire fi de tout cela en pensant un monde à coloration unique, fondé sur des principes divins anhistoriques et fantasmés, faisant abstraction de toute contribution plurielle et diverse. Ses avatars les plus perfides, Daech, Al-Qaïda, les Talibans ou Boko Haram, détruisent physiquement et idéellement tout ce qui ne leur ressemble pas, tout ce qui indique que l’histoire de l’islam dans ses origines et son évolution leur échappe absolument.
Déployer le patrimoine des chrétiens d’Orient est une entreprise encyclopédique à laquelle ne prétend pas ce fascicule. Néanmoins, nous avons choisi d’exposer certains aspects de la chose à travers différents angles. Alors qu’Emmanuel Pataq Siman nous informe sur « Les emprunts lexicographiques au syriaque dans la langue arabe », Jean-Jacques Pérennès soulève la complexité qui entoure les Lieux saints en Terre sainte. Par ailleurs, vu la guerre ravageuse qui touche les chrétiens d’Irak et de Syrie de plein fouet, il nous a semblé de bon ton de demander à Christian Lochon de nous faire l’inventaire des destructions dont Daech est responsable, et de compter sur deux Aleppins, Sami Hallak et Abdallah Haddjar pour nous parler de « La présence des chrétiens à Alep ». Enfin, Abdo Badwi nous parle des iconographies non byzantines – réalité bien méconnue en Occident – et Samir Arbache de l’interdit de l’image dans l’islam, l’aniconisme.
Au nom de l’Œuvre d’Orient je sais gré à ces auteurs de leurs précieuses contributions qui permettent de comprendre davantage, de nuancer encore et de penser l’avenir d’une manière plus pertinente.
Souligner l’importance du patrimoine des chrétiens d’Orient c’est dire que nous croyons en un monde pluriel, c’est insister sur le fait que la rencontre des cultures n’est pas forcément un clash, mais un enrichissement mutuel, c’est faire de l’autre celui qui me complète !
Antoine Fleyfel
Perspectives & Réflexions
Rédacteur en chef
Mai 2017
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