Terrorisme : « La religion vient apporter une réponse à la crise identitaire »
Antoine Fleyfel est professeur de théologie et de philosophie à l’Université Catholique de Lille. Il nous explique la stratégie de l’État Islamique.
– Quelle symbolique religieuse peut-on voir derrière le meurtre de Saint-Étienne-du-Rouvray ?
« Il faut replacer cet acte dans une perspective plus globale. Rappelons que l’État islamique voit l’Occident comme croisé et chrétien, avec une visée hégémonique vis-à-vis de l’Orient. L’EI a une pensée apocalyptique, c’est-à-dire qu’il croit en la fin du monde, avec une grande guerre qui ferait triompher l’islam. Selon les textes que les terroristes réinterprètent, ils sont en guerre avec Rome, qui représente la chrétienté. Il faut donc vaincre l’Église. L’état de guerre est ce que recherche l’EI, qui est né dans le chaos de l’Irak, en 2003. En attaquant une église, mais aussi des cafés, des concerts, c’est l’âme française qu’ils attaquent, pour un contexte propice au développement de leurs idées. »
– Pourquoi persistent-ils dans ce mode opératoire ?
« L’État islamique perd du terrain en Irak et en Syrie, et a fondé son image sur l’invincibilité. Sa devise c’est : elle (l’organisation) demeure et s’étend. Or, l’EI n’a jamais été aussi faible : il perd énormément d’influence et de territoire. Alors, comment redorer son image ? En faisant croire que sa capacité de nuisance est grande. En touchant les symboles fondamentaux de la culture occidentale, l’EI compense ses propres pertes. L’État islamique va disparaître d’ici un ou deux ans. Bien plus dangereux, c’est que cette pensée salafiste-jihadiste, qui se mondialise, lui survive. Il faut détruire les conditions qui ont permis à une telle organisation d’émerger. »
– Comment expliquer la recrudescence du religieux chez les jeunes (sondage Opinionway pour « La Croix », ndlr) ?
« À Londres ou au Canada, les différentes communautés ont su trouver leur place. Mais la France a son modèle d’intégration propre, qui tend à gommer les particularismes. En ce qui concerne l’islam, il y a une crise identitaire. Les générations les plus récentes, issues de l’immigration, ont ce problème de l’entre-deux. Ils ne sont plus considérés comme des autochtones par leur pays d’origine, et ne sont pas considérés comme Français au sens anthropologique du terme. La religion vient donner une réponse – même si ce n’est pas la seule – à cette crise identitaire. Comme Dalil Boubakeur l’a suggéré, l’islam doit se réformer – bien que ce ne soit pas la réponse unique au problème. Il faudrait aussi que l’État français mette de côté cette vision dépréciative du fait religieux. Ce dernier existe, et la religion est une réalité culturelle. Il faudrait mieux instruire les gens sur les trois grands monothéismes. »
28.16.2016
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