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Bertrand Wallon, Géopolitique des Chrétiens d’Orient d’Antoine Fleyfel, 27.09.2014

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Recension paru sur le site des Chrétiens de la Méditerranée le 27 septembre 2014

Antoine Fleyfel, franco-libanais, docteur en théologie et en philosophie, est maître de conférences à l’Université catholique de Lille. Responsable des relations académiques à l’OEuvre d’Orient, il est rédacteur en chef de sa publication annuelle : Perspectives et réflexions.

Son livre, Géopolitique des chrétiens d’Orient, est consacré à une analyse de la situation des chrétiens dans 6 pays arabes, pour chacun desquels il retrace l’histoire de leur relations avec l’Etat et la société de leur pays, la place qui leur est reconnue (ou pas) au sein des institutions, la forme que prend leur « dialogue de vie » avec l’islam, et il énonce les défis qu’ils ont à affronter.

Après avoir précisé la notion de « géopolitique », prise au sens de l’espace géographique, historique, politique et culturel dans lequel les chrétiens s’inscrivent dans ces pays arabes, il consacre un premier chapitre à expliciter le terme de « chrétiens d’Orient » (équivalent pour son étude à celui de « chrétiens arabes ») et à présenter la diversité des Eglises d’Orient, dont il propose un regroupement en 7 grandes familles (cf pages 24 à 26). Bien qu’elles soient loin de constituer un ensemble homogène, ces communautés sont pour lui réunies par 3 caractéristiques essentielles :
– l’arabité – en tant que langue, culture et appartenance – qui constitue le dénominateur commun des chrétiens d’Orient ;
– le dialogue de vie avec l’Islam, imposé par la cohabitation historique islamo-chrétienne dans l’Orient arabe ;
– et enfin, la question palestinienne et l’engagement pour la cause palestinienne, qui constituent la « cause commune » du monde arabe. A l’exception de l’Irak, tous les pays qu’il étudie ont d’ailleurs une frontière commune avec la Palestine.
Ces pays se voient ensuite chacun consacrer un chapitre, dont le titre éclaire la situation et les défis des chrétiens arabes qui en font partie :
– « Le Liban, pays du régime confessionnel » (ch. 2)
– « La Jordanie, royaume des chrétiens heureux ? » (ch. 3)
– « L’Irak, terre des exodes chrétiens ? » (ch. 4)
– « La Terre Sainte, souffrances et espoirs du lieu d’origine » (ch. 5, consacré à la situation des Palestiniens chrétiens, à la fois en Palestine et en Israël)
– « L’Egypte, le combat pour la citoyenneté » (ch. 6)
– « La Syrie, pays des minorités protégées ? » (ch. 7)

Chacun de ces chapitres constitue une passionnante étude associant un rappel des principaux évènements historiques ayant durablement façonné la situation des chrétiens dans ce pays ; une estimation de leur poids démographique et politique ; leurs rapports avec les institutions de l’Etat ; leur rôle éducatif, culturel et social ; et les enjeux actuels de leur présence et des questions auxquelles ils sont confrontés. C’est une très utile présentation du contexte historique et politique de ces pays et des relations islamo-chrétiennes qui s’y sont établies, ainsi qu’une aide précieuse à la compréhension des évènements, y compris les plus difficiles voire tragiques, auxquels ces communautés ont pu être confrontées.

A noter, bien que l’écriture du livre ait été achevée à l’été 2013, le chapitre consacré à l’Irak qui s’avère particulièrement éclairant sur les causes et les étapes d’une « longue descente aux enfers qui n’en finit pas » (p. 99) et d’un « chaos sécuritaire poussant violemment et rapidement à l’exode » (p. 115) malgré les efforts des Eglises pour préserver une présence chrétienne dans ce pays.

La question que pose l’auteur pour les chrétiens d’Irak (et qui peut valoir pour d’autres pays arabes) est dès lors la suivante : « Le gouvernement central et l’islam politique auront-ils le courage de relever le défi du pluralisme, de la citoyenneté et des droits de l’homme ? Seul ce défi peut actuellement prévaloir sur le fanatisme et le terrorisme » (p. 121).

Dans la plupart des pays décrits par l’auteur cette question est d’autant plus d’actualité que la légitimité du pouvoir politique est souvent fragile, constituant ainsi une source d’insécurité et un facteur d’émigration pour les minorités (dont les chrétiens). Et par ailleurs la société dans laquelle vivent les chrétiens arabes est confrontée à l’influence croissante d’un islam radical, qui fragilise les formes historiques du dialogue interreligieux qui a pu être établi avec un islam modéré. C’est notamment le cas en Egypte, auquel l’auteur consacre un chapitre très éclairant sur les discriminations subies par les coptes et l’évolution des relations entre l’église copte et le pouvoir politique.

La question de la permanence de la présence de chrétiens dans ces pays se pose donc souvent de façon aiguë, surtout lorsque, comme en Palestine, une situation économique très précaire laisse peu d’alternative à l’exil.
A contrario, on lira avec intérêt la description de la situation des chrétiens en Jordanie, où le soutien de la monarchie hachémite mais aussi des garanties institutionnelles paraissent avoir pu assurer une liberté de culte et une protection contre les discriminations, et permettent en corollaire aux chrétiens un engagement important dans le domaine éducatif, culturel et social.

Dans la conclusion du livre, A. Fleyfel souligne que les chrétiens d’Orient représentent « l’Autre » dans l’Orient arabe, « l’élément qui pousse à sortir de soi, qui provoque à la recherche de régimes politiques citoyens, garants de la diversité humaine et de la liberté de conscience » (p. 212).
L’auteur, convaincu de l’importance de la présence de communautés chrétiennes dans ces pays, fait preuve d’une grande lucidité sur les menaces qui existent (y compris parfois les « démons internes » des églises) et les défis qu’elles doivent relever. Et à ce titre, sans sous-estimer les difficultés auxquelles ces chrétiens sont confrontés, il relève comme un signe d’espoir pour l’avenir le fait que « beaucoup de chrétiens et de musulmans arabes se rejoignent dans un combat laïc et citoyen pour l’homme arabe ».

Relativement court pour un aussi vaste sujet, d’une écriture dense mais claire, cet ouvrage s’appuie sur une solide documentation complétée par de nombreuses notes de bas de page. Celles-ci fournissent de nombreuses pistes d’approfondissement (par exemple en ce qui concerne les positions des églises chrétiennes arabes sur la Palestine, ou sur l’engagement des communautés chrétiennes dans l’action éducative et sociale). Voici donc un livre qui apporte d’indispensables et passionnantes clés de compréhension historique sur les situations si diverses dans lesquelles se trouvent ces communautés chrétiennes, qu’elles soient importantes quantitativement (Egypte) ou proportionnellement à la population (Liban), ou, au contraire, devenues très minoritaires.

Ce livre ouvre des pistes de réflexion très éclairantes quant à l’avenir possible de la présence et du témoignage des chrétiens sur le sol arabe.

Bertrand Wallon

Chrétiens de la Médierranée

27.09.2014

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