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La crucifixion existe aujourd’hui en Syrie, La Croix, 17.07.2014

La crucifixion existe aujourd’hui en Syrie

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Réalité ou montage ? Des cadavres couverts de sang, ligotés sur une croix et exposés au regard de la foule… Visibles sur des centaines de sites Internet, ces images effraient par leur barbarie et la charge symbolique qu’elles renvoient.

Mais que faut-il en penser en l’absence des moyens classiques de vérification : crédit photo, témoins directs ?

La guerre qui déchire la Syrie se livre aussi sur Internet où toutes les manipulations sont possibles. En effet, une même photo suggère une lecture totalement différente en fonction de son lieu d’hébergement : présenté sur tel site djihadiste comme un musulman expiant sa faute au nom d’une prétendue loi islamique, le même « crucifié » apparaît ailleurs comme un chrétien martyrisé en raison de sa foi. Prudence, donc.

Le chercheur franco-libanais Antoine Fleyfel, professeur à l’université catholique de Lille, a néanmoins accepté de se livrer pour La Croix à une recherche à partir de quelques mots clés sur des sites arabophones et francophones. « La crucifixion existe aujourd’hui au Proche-Orient, confirme le chercheur. Ces actes sont le plus souvent commis par les djihadistes ultras de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) et visent des musulmans. »

Deux types de pratiques

Photos ou films à l’appui, deux types de pratique peuvent être relevés sur la toile. Dans le premier cas, la « crucifixion » n’entraîne pas la mort et vise surtout à humilier un individu en public afin de le punir pour son comportement. « Il faut écarter les représentations autour de la croix du Christ avec des clous, poursuit le chercheur. Ici, il s’agit plutôt d’exposer le condamné dans une posture cruciforme en l’attachant à un support qui n’est pas forcément une croix. »

L’Observatoire syrien de droits de l’homme rapporte le cas – repris par quantité de sites – d’un homme exposé durant huit heures, le 30 juin dernier à Al-Bab, dans la banlieue d’Alep, avant de recevoir vingt coups de fouet.

Dans le second cas, le plus répandu, la torture et/ou l’assassinat par balles précède la crucifixion. Là encore, les victimes sont des musulmans. Selon la même ONG syrienne, huit rebelles syriens ont été tués, puis leurs corps crucifiés, sur la place de Deir Hafer, un village de la province d’Alep, au mois de juin dernier.

« L’EIIL reproche à ces rebelles, dont certains appartiennent à l’Armée syrienne libre ou au front Al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaida, d’être trop ‘mous’ et de ne pas prêter allégeance au califat », explique Antoine Fleyfel. Ces affrontements entre le groupe ultra-radical et les autres rebelles, excédés par les volontés hégémoniques de l’EIIL, ont déjà fait 6 000 morts depuis janvier dernier.

Des témoignages difficiles à vérifier

A l’occasion, l’EIIL déchaîne sa cruauté contre ses propres membres. Une série de photos diffusées sur les sites djihadistes montre un homme portant une barbe, avec du sang sur la tête et une pancarte. « Coupable : Abou Adnane al Anadali. Sentence : exécution et crucifixion durant trois jours. Motif : extorsion aux barrages des conducteurs en les accusant d’apostasie. » « L’EIIL prétend instaurer une justice sociale très stricte en se fondant sur la loi islamique », poursuit Antoine Fleyfel.

Les chrétiens sont-ils eux aussi victimes de ces pratiques barbares ? « Si la crucifixion de chrétiens – par des musulmans avec un motif religieux – est historiquement établie au Proche-Orient, elle avait à peu près disparu avec l’effondrement de l’empire ottoman », explique le P. Jean-Marie Mérigoux, ancien membre de l’Institut dominicain d’études orientales (Ideo) du Caire.

La réapparition de crucifixions dans le sillage de l’EIIL s’est accompagnée de témoignages difficiles à vérifier. Sœur Raghida Al-Khoury, ancienne directrice d’une école gréco-catholique à Damas, aujourd’hui réfugiée en France, a ainsi fait état sur Radio Vatican, en avril dernier, de la crucifixion de deux chrétiens par des djihadistes à Maaloula, au motif qu’ils refusaient de se convertir.

Sans exclure que de telles atrocités puissent être commises, Aide à l’Eglise en détresse n’a pas pu confirmer. Idem du côté de l’Œuvre d’Orient, qui a sondé deux évêques sur place, à Alep et Hassaka. « Aucune famille chrétienne de la région n’a jusqu’à présent témoigné de telles pratiques », explique Catherine Beaumont, responsable de la communication.

Cela n’a pas empêché le pape François lui-même de confier, le 2 mai dernier, avoir pleuré en apprenant dans la presse que « des chrétiens (étaient) crucifiés dans un certain pays non chrétien », sans citer explicitement la Syrie.

Quant à la présidence du Conseil des conférences épiscopales d’Europe (CCEE), elle a exprimé sa « vive indignation » après la crucifixion des rebelles syriens de Deir Hafer.

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L’EIIL cible les minorités religieuses

Plusieurs informations circulent sur des mesures prises par l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) à l’égard des chrétiens en Irak. « Un ’N’, la première lettre du mot arabe ’nazaréen’ signale les maisons des chrétiens à Mossoul, qui sont vides. Pour les autres, leurs occupants ont été contraints de les abandonner, de devenir musulmans ou de payer l’impôt de protection prévu par la dhimma », indique ainsi l’agence catholique italienne SIR. « Nous n’avons pas entendu parler d’impôts spéciaux levés sur les chrétiens pour le moment, parce qu’il reste très peu de chrétiens à Mossoul », affirmait toutefois la semaine dernière Mgr Amel Shamon Nona, archevêque chaldéen de Mossoul.

L’information selon laquelle l’EIIL aurait suspendu « toute fourniture d’aliments et de gaz pour les quelques chrétiens restant dans la ville, les chiites et les Kurdes » a, elle, été confirmée à l’agence SIR par le vicaire patriarcal de Bagdad, Mgr Shlemon Warduni.

Selon l’association Fraternité en Irak, ces restrictions s’étendent également aux Yezidis, autre minorité religieuse du pays.

Samuel Lieven

La Croix

17.07.2014

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