Un avenir en clair-obscur pour les chrétiens d’Orient
Ébranlées par l’instabilité régionale, les communautés chrétiennes d’Orient sont loin d’être promises au déclin, même si leur présence tend à se resserrer.
Chrétiens d’Orient… En songeant aux maronites, aux melkites, aux coptes, aux arméniens ou encore aux chaldéens, on se figure des Églises d’un autre âge, dont les rites sibyllins font résonner des langues oubliées, puisant leurs racines dans les temps apostoliques, mais dont la disparition serait, à terme, inéluctable. Cette vision répandue est pourtant assez éloignée de la réalité.
Des situations très variables
S’il admet que la vitalité des communautés orientales est mise à mal par l’instabilité du monde arabe, le P. Jean-Marie Mérigoux ne souscrit guère aux prédictions les plus alarmistes. « Bien sûr, le contexte syrien ou irakien est extrêmement délicat pour les chrétiens, reconnaît ce dominicain qui a vécu quatorze ans à Mossoul, en Irak. Mais d’un pays à l’autre, les situations sont très variables. Nous devons garder à l’esprit que ces Églises ont toujours su surmonter leurs difficultés. »
En présence des patriarches orientaux réunis à Rome en novembre, le pape François lui-même a confié ne pas pouvoir se résigner « à penser le Moyen-Orient sans les chrétiens ».
Cette préoccupation se nourrit du traumatisme irakien. Après l’invasion américaine de 2003, ce pays a vu sa population chrétienne passer de 1 200 000 à moins de 500 000 fidèles. Le conflit syrien en aurait déjà poussé 450 000 sur les routes de l’exode. « En dépit de cette saignée, les chrétiens sont loin d’avoir déserté l’Orient. Leur présence reste importante au Liban, atténue Antoine Fleyfel, professeur à l’Université catholique de Lille. En Égypte, leur poids démographique – 8 millions de coptes – rend leur disparition impossible. » Pour ce chercheur franco-libanais, les chrétiens subissent souvent les conséquences de ces difficultés, au même titre que les autres communautés.
Un problème démographique
Directeur de l’Institut d’études de l’islam et des sociétés du monde musulman, à Paris, Bernard Heyberger avance une hypothèse originale pour démentir ce scénario d’un déclin programmé du christianisme en Orient, que beaucoup s’obstinent à lier à l’émergence de l’islam, au VIIe siècle.
« Si l’on se penche sur l’histoire démographique, développe-t-il, on constate que le XIXe siècle a été une période de progression de la proportion et du nombre de chrétiens par rapport aux musulmans dans les sociétés du Proche-Orient. La régression observée au XXe siècle n’est pas la conséquence d’une volonté intrinsèque de l’islam de faire disparaître le christianisme, mais celle d’un différentiel démographique. »
La transition démographique des chrétiens – comme celle des juifs – a été plus précoce que celles des musulmans, qui sont en train de la vivre à leur tour. « Je ne nie pas un affaiblissement du christianisme oriental, mais les causes ne sont pas celles que l’on avance habituellement. Évidemment, poursuit Bernard Heyberger, en Irak et en Syrie, des chrétiens émigrent parce qu’ils se sentent menacés. Mais dans tous ces pays, la question du pluralisme continuera de se poser. »
Trois défis à relever
Une certitude partagée par Antoine Fleyfel, qui soumet l’avenir de ces Églises à trois défis conjoints : maintenir une attitude de dialogue avec l’islam en dépit de la violence d’une minorité extrémiste ; œuvrer à l’unité de traditions parfois distantes (par exemple en unifiant la date de Pâques) ; et enfin s’engager en faveur de la citoyenneté.
« Leur force tient essentiellement à leur foi, observe de son côté Mgr Pascal Gollnisch, directeur de l’Œuvre d’Orient.Une foi solide, doublée d’un sens aigu de la famille. Sur le plan social, ils n’ont jamais perdu le lien entre la paroisse, le dispensaire et l’école. Ils savent articuler le soin du corps, de l’esprit et de l’âme. »
Leur engagement au service du bien commun en fait des acteurs de premier plan. Au Proche-Orient, leur influence déborde largement leur nombre réel. D’aucuns soulignent toutefois la nécessité d’une meilleure formation des laïcs, tant pour assumer les besoins de leurs Églises que pour peser sur l’avenir de ces sociétés.
FRANÇOIS-XAVIER MAIGRE
La Croix
20.12.2013
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