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Le dialecte libanais au-delà des frontières avec Keefak

Antoine Fleyfel interviewé par Agenda culturel (Beyrouth), le 02.09.2013

Propos recueillis par Tancrède Bonora

 

Agenda culturel

Dans les rues de Beyrouth, il est courant de se saluer d’un “Hi, Kifak, ça va”, soit un mélange d’anglais, d’arabe et de français. Parler ces trois langues dans une même phrase est devenu un exercice quotidien pour de nombreux Libanais, notamment dans les grandes villes et chez les jeunes. Mais pour la diaspora libanaise – 15 millions de personnes pour seulement 4 millions d’habitants au Liban – parler l’arabe libanais est un moyen de rester attacher à ses racines. Et l’éloignement du pays natal n’aide pas à pratiquer la langue.

Pour contrer ce phénomène, Hadi el-Khoury a créé Keefak, une application mobile d’apprentissage du dialecte libanais à partir du français, de l’anglais, de l’espagnol et du portugais brésilien. “Après avoir discuté avec de nombreux français d’origine libanaise, j’ai constaté qu’ils avaient des difficultés à apprendre l’arabe à leurs enfants, et qu’ils en éprouvaient une certaine frustration. C’est quand je suis devenu père que j’ai créé l’application” affirme Hadi el-Khoury, fondateur de Keefak.

Keefak s’adresse principalement aux Libanais partis s’installer à l’étranger, mais également aux épouses, conjoints et amis de Libanais qui ne veulent pas être perdus dans les conversations au Pays des Cèdres. Et dans les prochains mois, une version pour enfants ‘Keefak Junior’, avec des dessins animés, devrait voir le jour. Au-delà de l’aspect commercial du projet, les fondateurs se sentent investis d’une mission culturelle : maintenir le lien avec le Liban.

Le point fort de l’application est de pouvoir étudier le dialecte libanais sans passer par l’apprentissage de la langue arabe et son alphabet. Simplement pour communiquer au quotidien et se délecter de la cuisine libanaise. Les cours sont assurés par le professeur Antoine Fleyfel à partir de ses ouvrages ‘Parler libanais’, et compile du vocabulaire, de la grammaire et des exercices audio, notamment sous forme de conversations fictives.

“Les nouvelles technologies rendent beaucoup plus accessibles l’apprentissage. Le smartphone se transforme en outil de connaissance”, reconnaît Antoine. Il est plus facile d’avoir un téléphone dans la poche qu’un livre encombrant, ou se rendre à un cours à une heure précise. Et dans nos sociétés modernes, on oublie plus facilement un livre que son téléphone.

Déclin du dialecte libanais


Mais les nouvelles technologies accélèrent aussi le déclin de la langue arabe au Liban, notamment chez les jeunes. Leur profil Facebook, Twitter ou Instagram sont en anglais. Et dans les conversations, il apparaît souvent plus chic de parler français et indéniablement plus “cool” d’utiliser des expressions anglophones.

Pour Antoine Fleyfel, oublier la langue mère du pays contribue à anéantir le génie d’une culture. “Le déclin de l’arabe libanais est lié à une crise identitaire, une dépréciation de la culture du pays. Certains pensent que ce qui vient de l’étranger est forcément mieux. On a une mauvaise estime de notre propre héritage. Mais la déliquescence du dialecte libanaise procède aussi d’une méconnaissance ; on oublie souvent la richesse de l’arabe libanais, son élégance” se désole-t-il. “On pense, à tort, qu’une langue est un outil seulement technique. Or la langue est porteuse d’une culture, notamment religieuse. Par exemple pour dire “J’espère” on utilise Inch’Allah qui signifie ‘Si Dieu le veut’. Cela n’est pas anodin”. Protéger la langue arabe est aussi le leitmotiv de l’association Fiil Amr qui avait mené, en 2010, une campagne dans les rues de Beyrouth pour la sauvegarde du dialecte libanais. Des sculptures de lettres arabes gisaient au milieu d’une fausse scène de crime avec pour slogan ‘Ne tue pas ta langue’. Comme un ultime avertissement, Alexandre Najjar, dans ‘Le Roman de Beyrouth’, avait souligné avec brio qu’”un pays ne meurt pas quand il est occupé, c’est quand sa culture meurt qu’il meurt vraiment”. Dont acte.

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