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Pour un discours de foi adapté aux problématiques nouvelles, L’Orient Le Jour, 24.12.2011

PARIS, de Carole DAGHER

Antoine Fleyfel a récemment signé son ouvrage sur « La Théologie contextuelle arabe » à l’Office du tourisme.

12.06.2008.e

Il a l’enthousiasme de la jeunesse et l’audace de pensée qui lui est propre. Blouson de cuir et casque de motard, Antoine Fleyfel bouleverse la docte image que l’on se fait d’un… docteur en théologie et en philosophie. Et pourtant… Il parle avec passion de ce qui le travaille depuis l’âge de 16 ans, à savoir le besoin de « comprendre ma foi, l’Église, les religions ». Il évoque ses engagements dans la vie pastorale de son Église (chorale, groupes de jeunes, veillées évangéliques, lecture de la Bible et de la vie des saints, pèlerinages, mouvements charismatiques…), ses études de théologie à la faculté pontificale de l’USEK d’abord, à « la Catho » de Paris et à Strasbourg ensuite, simultanément avec des études de philosophie (Sorbonne), et sa passion pour la liturgie orientale aussi bien que pour la musique (dont il fut à deux doigts de décrocher la licence). Puis il développe les thèmes de son brillant ouvrage académique : La Théologie contextuelle arabe, modèle libanais, paru dans la collection religieuse qu’il dirige chez L’Harmattan et qu’il signait il y a quelques jours à l’Office du tourisme du Liban à Paris. Ce travail méritoire et pionnier de présentation et d’analyse des écrits des théologiens libanais Youakim Moubarak, Michel Hayek, Grégoire Haddad, Georges Khodr et Mouchir Aoun lui a valu déjà d’être invité dans plusieurs émissions radio ou à la télévision en France pour faire le point de la situation des chrétiens en Orient et des défis auxquels ils doivent faire face aujourd’hui.

Ce livre, explique-t-il à L’Orient-Le Jour, est né d’une interrogation fondamentale qui l’a saisi à l’étude des grands théologiens occidentaux : « Ne puis-je pas mener un discours de foi, un discours religieux contextuel arabe libanais qui réponde à mes problématiques sans être aliéné par deux choses : la tradition et l’Occident ? » Marqué par des philosophes comme Spinoza, Hegel, Kant, Heidegger, ainsi que par les grands théologiens occidentaux comme Bultmann, Kasemann, Küng, de même que par la théologie libérale, Fleyfel a voulu combler le clivage entre « une recherche intellectuelle qui pousse les choses jusqu’à son bout, et un discours religieux et théologique au Liban qui relève d’un autre âge et qui ne répond pas aux attentes existentielles et contextuelles » de nos contemporains. Honorer la tradition, les pères syriaques et les pères cappadociens, saint Ephrem, Grégoire de Nysse, saint Charbel n’interdit pas d’adapter le discours théologique aux problématiques actuelles, et sans forcément devoir traduire dans le but d’appliquer des théologies occidentales.

« Quand j’ai commencé la théologie à Kaslik en 1995, le thème de l’acculturation était à la mode. C’est un néologisme théologique créé par les jésuites dans les années 70, surtout dans les milieux africains, et adopté par Jean-Paul II dans sa lignée évangélisatrice, explique Fleyfel. Mais ceci répond à une logique occidentale propre, qui reste étrangère à la pensée orientale. »

Cherchant un discours théologique propre local, le jeune docteur en théologie découvre, grâce au père Mouchir Aoun, un corpus impressionnant de théologie contextuelle libanaise, regroupant les écrits des pères Michel Hayek, Youakim Moubarak, Mouchir Aoun et Jean Corbon, des évêques Georges Khodr et Grégoire Haddad, et du philosophe Paul Khoury, « qui refuse de s’inscrire dans un corpus théologique ». Ces auteurs, hautes figures du clergé libanais, partagent des points communs : « Ils traitent, chacun à sa manière, de la diversité très belle des Églises, du dialogue islamo-chrétien, et ils le font de manière nouvelle, qui rompt avec la tradition précédente apologétique chrétienne de refus, de rejet (de l’autre). Michel Hayek, Youakim Moubarak, Georges Khodr ont une manière nouvelle d’aborder l’islam. Le deuxième point est une vision partagée de la réforme de l’Église et de la théologie au Liban. Certaines de leurs propositions sont magnifiques comme la restauration d’Antioche, l’Église des Arabes…»

« Le 3e trait de la théologie contextuelle libanaise, poursuit Antoine Fleyfel, c’est la théologie politique, qui aborde les questions de la laïcité, du confessionnalisme, du sionisme, de la cause palestinienne au Liban, de l’arabité. C’est une première au Moyen-Orient, où les chrétiens, de peur de représailles de la majorité musulmane, ont toujours préféré éviter ces questions. Certains textes de Mgr Grégoire Haddad ou de Mgr Georges Khodr sont quasiment militants, mais c’est pour l’amour de la vérité et non pour faire de la politique. La question de la Palestine est en rapport avec la problématique de l’injustice. Cette théologie contextuelle libanaise partage beaucoup d’aspects de la théologie de la libération (concept né en Amérique latine). C’est une théologie de la libération de l’homme. Mais le volet économique est beaucoup moins traité que le volet politique. »

Antoine Fleyfel exhume et présente donc de manière exhaustive, dans son ouvrage désormais recensé dans de nombreux pays européens, des écrits de grande valeur mais oubliés. « La guerre libanaise a notamment tari les recherches, mais elle a aussi été l’occasion d’un grand choc chez Youakim Moubarak et Michel Hayek concernant leurs recherches islamo-chrétiennes, explique Fleyfel. Enfin, ces hommes ont été les exclus de leur Église, ce qui a été un coup dur pour leurs écrits et leurs pensées. Depuis, il n’y a pas eu une génération de théologiens qui prenne le relais. » « Le père Mouchir Aoun, poursuit-il, a repris le flambeau entre 1995 et 2000 en tant que chercheur, philosophe et théologien. Il a de l’audace et va, dans le dialogue islamo-chrétien, jusqu’à parler de pluralisme théologique. »

Par rapport à la théologie occidentale, cette théologie occupe une place exclusive et unique. Le mérite de l’ouvrage d’Antoine Fleyfel est de lui accorder une place dans l’histoire de la réflexion religieuse et philosophique orientale, et de montrer qu’elle peut être un facteur de renouveau au sein des Églises arabes du Moyen-Orient.

Carole Dagher
L’Orient Le Jour
24.12.2011

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